Julien Fouré : « Il y a côté très féminin dans le montage »

by La Rédaction

Conteur d’images, Julien Fouré met de l’ordre dans un film comme on pourrait mettre de l’ordre dans une vie.Pour mettre de l’ordre dans les films, il crée la société de production Free Monkeyz à Casablanca avec son acolyte : Youssef Barrada. Zoom sur un métier aussi fascinant que prenant, qui se nourrit de passion et de patience avec celui qui a raflé le Prix du Montage , en février dernier, lors de la dernière édition du Festival National de Tanger pour « Punch » de Mohamed Amine Mouna. 

“ Si l’on considère qu’une image animée est un mot, notre mission c’est de faire des phrases ”

C’est quoi un monteur ?

Le montage consiste à récupérer les images d’un tournage ou les images d’un mariage, peu importe les images animées et de les ordonner afin de leur donner un sens. Si l’on considère qu’une image animée est un mot, notre mission c’est de faire des phrases. 

C’est quoi les difficultés d’un montage ?

Justement, c’est d’avoir assez de vocabulaire pour bien parler. On peut parler simplement mais plus on connait le métier, les rouages, le vocabulaire cinématographique, plus on a des armes pour faire des phrases compliquées, des phrases complexes, des phrases poétiques. Raconter des histoires. Le montage, c’est la troisième écriture. On a l’écriture (le scénario), le tournage et le montage. Le montage est la dernière écriture. 

A quel moment intervient le monteur ?

Idéalement, dès le scénario. On a un œil de monteur, donc en lisant un scénario il est déjà possible de faire faire des économies à la production, en disant, à titre d’exemple, si un personnage est dans la rue, dans sa cuisine et on le retrouve dans un grand couloir. On peut se poser la question de savoir si la scène de la rue va servir à quelque chose. Est-ce que cela raconte quelque chose dans le temps ? Est-ce que cela permet une ellipse ? Ou est-ce qu’on peut le passer de cette cuisine à un couloir qui est assez grand ? Et on accompagne la narration, c’est notre travail, donc c’est mieux d’intervenir au scénario. 

Comment êtes-vous venu au montage ?

Quand j’étais petit, ma grand-mère avait toujours une caméra, elle nous filmait en vacances. Après j’ai habité dans un pays où tous les jours, en rentrant de l’école, je louais deux films. A partir de mes 10 ans, j’ai regardé deux films par jour. Et puis ça m’est sorti de la tête, je me suis lancé en école de commerce. Et je me suis rendu compte que je m’étais trompé de chemin. J’ai eu un déclic sur le cinéma, mes souvenirs d’enfance, ma grand-mère. J’ai fait une formation de réalisation. Être réalisateur c’est plus qu’une formation, c’est un talent et du travail. C’est bien de connaitre les aspects techniques, je me suis donc spécialisé dans le montage parce que j’ai beaucoup aimé. 

Vos influences cinématographiques sont plus des réalisateurs ou des monteurs ? Ou des films ?

Au début, ce sont des réalisateurs. Quand on regarde un film, jeune, on ne sait pas ce qu’est un monteur ou un chef opérateur, tous ces métiers, ces centaines de métiers qui font le cinéma. Au début, quand on commence, on découvre les noms des réalisateurs, leurs sensibilités. Quand tu deviens monteur, tu te rends compte que c’est Thelma Schoonmaker qui est la monteuse fétiche de Martin Scorsese ou encore Sally Menke qui monte les films de Quentin Tarantino. Mais cela vient avec la connaissance du métier. 

Est-ce que vous choisissez vos projets ou ils viennent à vous ?

On commence à choisir les films à un moment donné. On les choisit des fois au scénario parce que parfois, on peut ne pas aimer le scénario. A terme, on devient plus exigeant, on n’a pas envie d’aller n’importe où, ou de faire n’importe quoi. J’ai toujours refusé de monter une série Ramadan, parce que ce n’est pas ma sensibilité, cela ne m’intéresse pas. Le choix se paye, comme la liberté. Choisir de ne pas faire certaines choses, c’est soit choisir de se mettre à dos les gens qui le font, soit de se mettre à dos l’argent que cela peut vous procurer. J’ai fait ce choix tôt. Le montage, ce n’est pas un métier c’est une passion. On ne va pas au bureau à 9h et on rentre le soir à 19h. Tu vis montage, tu vis cinéma. Cela m’est arrivé de monter un film que je n’aimais pas. Je trainais la patte pour aller monter. L’aspect artistique est trop important. A partir de ce jour-là, je me suis fait la promesse de choisir les projets. 

« Le montage, ce n’est pas un métier c’est une passion »

Y a-t-il une rigueur particulière ?

Oui bien sûr. Comme dans tout. Même s’il y a un peu de talent, le travail c’est la clef. C’est Hicham Ayouch qui me disait «tu es monteur ? Et bien monte!». Monter des mariages, des photos de vacances, des blagues, n’importe quoi. C’est du travail sans relâche. Des fois il faut monter le jour, d’autres la nuit. Aujourd’hui, j’ai dû me réveiller à 4h du matin pour livrer à 9H. Cela participe à l’intérêt de la chose, parfois je monte une publicité pour un yaourt, le lendemain je peux monter un documentaire sur le rugby, le jour d’après c’est une fiction. C’est toujours différent. La routine ne devrait pas s’installer dans notre métier. 

Quelles sont les qualités d’un monteur ?

La sensibilité, il y a côté très féminin dans le montage. L’écoute. La particularité, du montage dans l’étape du cinéma, un peu comme le scénario, est que nous sommes peu nombreux. Le scénario est écrit à une ou deux mains, dans le tournage il y a plein de monde et l’étape du montage est réduite au monteur et au réalisateur dans une salle. On se doit d’être à l’écoute de ce qu’il attend, ce qu’il cherche, sa sensibilité à lui en y apportant la sienne. C’est une question d’équilibre entre le réalisateur et le monteur. Il y a de la psychologie. 

Un jeune marocain, aujourd’hui qui souhaite poursuivre ce chemin, que doit-il faire ?

Oui, il y a beaucoup de possibilités en ligne, beaucoup de jeunes sont autodidactes. Quelqu’un comme Amine Mouna, fait tout tout seul. Il a fait un film qui fonctionne très bien. On a des outils à portée de main, des caméras dans des téléphones. Cela s’est démocratisé. Il y a des écoles et des formations, pas mal au Maroc. Mais il y a surtout du travail. 

« Il y a des écoles et des formations, pas mal au Maroc. Mais il y a surtout du travail ». 

Le montage dont vous êtes le plus fier ?

Je pense que c’est « Fièvres » de Hicham Ayouch qui avait pris le parti de prendre un non comédien. On a beaucoup galéré, on l’a taillé au couteau, pour protéger les comédiens, quand il sur joue, quand il sous joue, cela se fait beaucoup au montage. Cela fait vraiment partie de notre travail. Et on a eu le Prix de la meilleure interprétation masculine des mains de Martin Scorsese au Festival International du Film de Marrakech. La profession nous a reconnus pour ce que nous avions fait. Pour d’abord Hicham pour l’avoir dirigé et moi au montage après. 

Fièvres de Hicham Ayouch – Montage : Julien Fouré

Comment se passe le travail avec le réalisateur ?

Quand on est jeune monteur, c’est le pire parce que le réalisateur pense qu’il est meilleur monteur que toi. Et si on n’a pas sa confiance, cela devient vite un calvaire. Ton avis ne compte plus, ton cut ne compte plus. On se sent inutile. Après, chaque réalisateur est différent. Mais la confiance finit par s’installer et cela est agréable. Après avoir monté plusieurs films avec un réalisateur, cela devient plus facile. Comme avec Narjiss Nejjar, Jérôme Cohen ou Hicham Ayouch.
C’est un contrat de confiance. Ma tâche principale, c’est d’aider le réalisateur à raconter son histoire de la meilleure manière possible. Ce n’est pas de raconter mon histoire. Je suis là pour servir le réalisateur. C’est une collaboration. Si humainement, cela ne passe pas, cela peut se voir sur le montage. On dit que dans le cinéma, les réalisateurs travaillent avec les mêmes chefs opérateurs et monteurs pendant longtemps. La collaboration sur une longue période permet des miracles. On devient les bras du réalisateur, on peut devenir le prolongement de sa pensée. 

Est-ce que le monteur considère que le film est sien ? 

Cela va dépendre du réalisateur. C’est un résultat collectif le cinéma, personne ne fait un film tout seul. J’ai l’impression d’avoir posé ma pierre, avoir laissé ma patte. Mon énergie se reflète dans mon montage. Le film reste celui le réalisateur, mais il y a des cuts où l’on peut me reconnaitre. Et je défends les films autant que les réalisateurs parce que je les considère miens aussi. La générosité fait partie intégrante de notre métier. Ceux qui n’en font pas preuve, s’approprient le travail. 

« C’est un résultat collectif le cinéma, personne ne fait un film tout seul ».

Quelle serait la particularité de votre montage ?

J’essaie de faire beaucoup de faux raccords, le montage est organique. Je ne cherche pas le raccord, je cherche l’énergie. Si dans un plan, le gamin a la fourchette dans la main droite, et si dans l’autre plan, le gamin l’a dans la main gauche, si c’est la meilleure énergie, je vais essayer de la faire passer. Jérôme Cohen m’avait fait la remarque, mais je monte à l’énergie. Chercher un raccord n’est pas forcément important, il faut chercher le rythme et l’émotion selon moi. Et comme je viens du Hip Hop, je suis quelqu’un d’excité, nerveux, angoissé. J’ai un montage un peu énervé…(Rires). 

Est-ce que l’on peut répondre à une question telle que «Combien dure un montage? »

Chaque projet a son rythme, comme chaque réalisateur a son rythme. On nous dit souvent « il faut que ce soit monté en 5 semaines, 6 semaines ». Ce n’est pas cela le cinéma. Avec Sofia Alaoui, par exemple, nous avons la semaine pour bosser un court. Et bien nous avons fait le choix de travailler 2 à 3h par jour. Et pas plus. C’est le moment où l’on a l’énergie et la créativité, la concentration. 

C’est organique et puis il y a une réalité économique aussi, hélas. Une salle de montage à louer, une date de diffusion mais il faut trouver un équilibre. 

Est-ce un travail différent de monter un long, un court, un documentaire, une pub ?

Oui. On vient du cinéma, on a appris à défendre le réalisateur. En publicité, par exemple, on fait venir un réalisateur qui vient de New York ou de Paris, qui coûte très cher, et je fais son montage, sa version. Derrière, il y a le client qui détruit le montage parce que son but c’est de vendre des yaourts. Quand on vient du cinéma, c’est choquant. Le documentaire, c’est autre chose. On tourne beaucoup, et on construit au montage. On tâtonne, on cherche. On dépasse l’écriture en filmant. 

Est-ce que le réalisateur aide le monteur et vice-versa ?

Absolument. Le fait d’avoir monté beaucoup de films m’a permis de passer à la réalisation et le fait d’être réalisateur m’a permis d’être meilleur monteur. J’apprends des erreurs des autres, j’ai pu faire mes erreurs à mon tour que j’ai corrigées. Tout cela sert aussi en salle de montage, je comprends mieux les réalisateurs. 

« Le problème de notre métier c’est qu’il n’y a pas d’angle droit ».

C’est quoi un bon film pour vous ?

C’est un film où l’on ne voit pas le montage ! (Rires). Je ne sais pas ce qu’est un bon film. C’est très personnel. Le problème de notre métier c’est qu’il n’y a pas d’angle droit. Quand on construit un immeuble, on sait qu’un angle droit fait 90°. Allez faire un film avec un angle droit…C’est impossible. 

Film de Mohamed Amine Mouna, prix du montage au FNT pour Julien Fouré en 2020

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