VITOLES & VOLUTES #2

by La Rédaction

Chers Aficionados… Les Amateurs de cigares, épicuriens que nous sommes, aimons la bonne table, et parfois mais toujours avec modération bien sûr, les bons vins. Ce que nous avons du mal à imaginer c’est tout le travail fournit en amont de notre régal. Si nos plats préférés s’accommodent facilement de la créativité et de l’improvisation du marmiton, il est bien connu que la pâtisserie est une science exacte où l’approximatif n’a pas sa place. Il en va de même pour le cigare. Notre module préféré ne le restera que si sa recette de fabrication est respectée à la lettre. A défaut, une variation ou une pointe d’improvisation du Torcedor lui feront perdre immédiatement son statut de favori.

Le Torcedor, c’est le chef de cuisine, il sublime le produit qu’il sélectionne lui-même. Ce rouleur est un artiste qui met des années à maitriser son art qu’il exerce dans les quelques vraies manufactures restantes. Les grandes manufactures le savent : sans bon Torcedor, point de bon cigare.

   

Chaque cigare a ses secrets de fabrication, mais la recette de base est la même pour tous.

Voyons donc cette recette, au travers des étapes qui précèdent le moment où nous allons découvrir et déguster notre cigare. Il n’est pas utile de prendre des notes, car contrairement aux recettes des magazines culinaires (non je n’ai pas dit féminin), et sans douter ici du talent de chacun, il y a quand même très peu de chance que nous ayons la capacité de fabriquer notre cigare, même avec une âme de jardinier et une trace d’ADN Cubain décelée dans notre dernier test génétique.

Nous allons conserver le côté ludique de cette chronique en évitant de la transformer en revue scientifique, où je serais le premier à me perdre. Donc pour raccourcir le chapitre botanique, il faut juste retenir que le tabac est une plante et que tout commence par une petite graine qui germe et qui grandit… on a tous entendu parler un jour de l’histoire de la petite graine, non ?

Ce qui fera la différence entre les tabacs, c’est le terroir. Comme pour les vins, la région, le climat et le sol jouent un rôle essentiel dans le goût de notre module. Promis, nous ferons un peu de géographie et voyagerons au travers de ces nombreux terroirs, prochainement.

Coté ingrédients, c’est assez facile à retenir, il s’agit de feuilles de tabac et rien d’autre. En effet, la qualité première d’un bon cigare est d’être constitué à 100% et strictement de tabac. Aucun additif ou autre assaisonnement. Le seul élément de notre cigare qui ne soit pas du tabac est sa bague, mais sauf à s’être endormi sur son module, en général elle ne se fume pas ! Le cigare, comme en cuisine, est un plat généreux au regard de la quantité de feuilles de tabac qui vont être nécessaires à notre Vitole. En effet, il va falloir confier au savoir-faire du Torcedor, l’assemblage à minima de 3 types de feuilles différentes pour confectionner notre barreau de chaise, en commençant par le cœur du cigare à savoir la tripe qui sera contenue dans la sous cape et habillé d’une cape. Chacune de ces trois parties a son rôle à jouer dans le cigare et le Torcedor tel un maitre de chais va devoir trouver le juste dosage de tout cela pour que cette Vitole en devenir, vienne tutoyer l’absolu plaisir de notre impatiente dégustation.

Pour l’anecdote, je vous le concède sans fondement scientifique ni attirance mystique, nous remarquerons que le chiffre 3 est très présent dans l’univers du cigare : 3 types de feuilles de tabac pour 3 éléments de confection (tripe, sous cape, cape), pour 3 parties finies (tête, corps, pied) et 3 sensations de dégustation (foin, divin, purin ).

A ce stade, est-il utile de préciser que tout le travail à venir est totalement fait à la main ? Certes il n’y a pas que celles du Torcédor, mais ce sont bien des mains qui sélectionnent, trient, écôtent, roulent, coupent, moulent et donnent vie à nos modules. Nous allons en profiter pour chasser de nos esprits coquins une légende : non Khoya, nos modules favoris ne pas sont roulés sur les cuisses de jolies ouvrières cubaines ! 

Revenons à notre recette, et à notre besoin des 3 types de feuilles que l’on trouve sur un pied de tabac :

La feuille Volado est celle qui est le plus près du sol, elle a peu vu le soleil et a peu de goût, mais une fois cueillie et mise en maturation durant 9 mois, elle présente d’excellentes qualités de combustion et permettra à notre cigare de se consumer de façon régulière.

La feuille Seco, est cueillie au milieu du pied de tabac, à l’abri du sol et protégée du soleil. Après une maturation de 18 mois, la Seco délivrera toute sa richesse aromatique et surtout viendra séduire nos papilles olfactives.

La feuille Ligero en haut du pied de tabac, bien bronzée par le soleil et chargée d’huile, aura besoin d’une maturation d’au moins deux ans pour dévoiler toutes ses qualités et sa palette de saveurs gustatives. Elle est toujours placée au milieu du cigare, au cœur de la tripe pour sa capacité à brûler lentement.

Après être passé à l’écotage, qui consiste, à enlever à la main la nervure centrale de la feuille, c’est le savant et surtout secret dosage entre les feuilles Volado, Seco et Ligero, propre à chaque manufacture qui constituera la tripe du cigare. Les mélanges restent secrets, mais nous aurons tendance à forcer sur la quantité de Ligero pour obtenir un cigare de caractère, tandis que si notre préférence se tourne vers la douceur, ce sont les feuilles Seco et Volado qui seront majoritaires. Ces feuilles vont être assemblées et pliées, généralement à la façon d’un livre, puis roulées et maintenues par la sous cape, souvent composée des plus belles feuilles de Volado. Selon les écoles, cette feuille Volado peut être utilisée entière ou coupée en deux. Elle va ainsi s’enrouler autour de la tripe dans un sens avec la première partie puis dans le sens opposé avec la seconde partie, afin de solidifier l’ensemble. Cet embryon de cigare est ensuite pressé dans un moule en bois aux dimensions du module visé, avant de revêtir sa tenue de soirée ; la fameuse cape.

La cape, c’est l’image, l’identité, la vitrine de ce qu’elle cache, une vraie séductrice. Elle apporte en réalité peu de goût et d’arômes au module, mais comme elle est la première chose que l’on voit et que l’on touche en ouvrant sa cave, cette cape a le devoir d’être parfaite. C’est pour cela qu’elle fait l’objet d’une culture particulière, à l’abri des intempéries, et qu’à l’exception des Puros Cubain, les grandes manufactures n’hésitent pas pour habiller leurs plus beaux modules à faire venir ces capes du monde entier. C’est la feuille la plus coûteuse de notre cigare, mais c’est elle qui nous fera craquer pour un module sur une vaste palette de teintes du plus claro au plus maduro.

La cape est roulée bien serrée, en diagonale, du pied vers la tête du cigare et est fixée par la coiffe, un petit morceau de feuille collée avec une résine végétale délicatement étalée au doigt, qui vient fermer notre cigare et que nous allons nous empresser de couper à la première occasion.

Notre cigare est terminé. Il reste à le laisser se reposer et s’épanouir stocké en fagots pendant presque deux mois avec ses congénères, à le parer de sa bague d’identité, puis il sera rangé soigneusement dans une boite, si possible par couleur de cape identique, et obligatoirement dans un ordre très précis, de gauche à droite, du plus maduro au plus claro. Si en ouvrant notre boite nous découvrons une mosaïque de couleurs dispersées, alors méfiance sur l’origine de ces modules. Comme nous aimons les anecdotes, avant que cette boite n’arrive jusqu’à nous, de plus en plus de grandes manufactures lui offrent une séance de cryothérapie. Plus simplement dit, la boite est congelée pendant quelques jours afin d’éliminer les œufs de lasiodermes, petit vers pervers, ennemi juré de notre cave à cigares. 

Quand on constate finalement que pour faire un seul cigare, il aura fallu pas moins de 5 à 7 feuilles complètes de tabac dont certaines ont maturé durant plus de deux ans, puis de l’écotage jusqu’à la cape et sa coiffe, la masse de travail minutieux à la main, il est aisé de comprendre la comparaison du cigare avec la haute gastronomie, et l’addition en fin de repas. C’est au prix de ce parcours que nous aurons l’assurance de nous régaler.

Le petit conseil dédié à nos futurs acquisitions ; pour viser l’excellence, repérer l’inscription sur la boite Totalmente a mano, c’est la garantie d’un 100% fait main avec des feuilles de tabac entières. 

Une inscription Hecho a mano reste un gage de qualité, mais signifie que seules la sous cape et la cape ont été travaillées et roulées à la main, tandis que la tripe qui n’offre pas toujours la garantie de feuilles entières a été faite en machine. 

En tant qu’Aficionado, amateurs éclairés respectons notre cave, et évitons autant que possible de l’encombrer avec des cigares provenant d’une boite où il est inscrit Maquina. Ils sont entièrement fabriqués en machine et leur tripe est composée des chutes de tabac des deux catégories précédentes…. Mais me direz-vous, il en faut pour tout le monde.

  

Par Patrick G.

  

   

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