Ces hommes, aujourd’hui fameux ailleurs, ont un privilège de par leur naissance, une distinction qui les dote d’une autre approche des problèmes de notre temps qui en fait des sages, des médiateurs, des passeurs. Simplement parce qu’ils sont nés dans une autre civilisation que la leur, dont ils finissent avec le temps par partager les valeurs.
Fils de colons, d’hommes d’affaires, d’enseignants ou de diplomates, il sont nés au Maroc où il ont fait leurs premiers pas, puis fréquenté l’école. Et puis un jour arrive où l’heure du départ va sonner, tôt ou plus tard. La fatalité finit par les rappeler au pays dont ils sont citoyens, ou ailleurs pour ceux dont les parents parcourent le monde. Et ils grandissent sans prendre conscience de leur privilège, il sont absorbés à l’adolescence par les rêves et les soucis propres, partout, à cet âge. C’est l’âge aussi de la formation au bout de laquelle on accède à l’université et aux perspectives qu’elle ouvre. L’adulte en eux prend alors le pas sur le jeune homme, la vie active s’en mêle. Le natif du Maroc n’a jusque-là, la plupart du temps, que des souvenirs de vacances, une nostalgie peut-être plus liée à l’affection parentale qu’aux lieux en question et à leurs couleurs propres. Et, petit à petit, avec l’expérience de la vie, plus riche et plus mouvementée encore lorsqu’ils choisissent pour destin la politique, une réflexion commence à prendre forme avec un retour en arrière et une forte nostalgie qui fait monter des tréfonds de la mémoire une douceur de vivre d’antan.
Le discours ambiant fait réfléchir là-dessus. Les débats sur l’immigration, sur le choc des civilisations, les xénophobies qui trouvent leurs porte-drapeaux, l’exclusion et le dénigrement ne manquent pas de faire revenir sur ses pas une pensée émergente avant qu’elle ne se sclérose et se confonde avec la bêtise et la haine qui s’infiltrent pour de bon dans la mêlée. Les images remontent à la surface. La gentillesse des gens, les sourires constants et les saluts amicaux avec lesquels on vous aborde dans la rue, les maisons ouvertes aux hôtes de passage, les gâteaux au miel offerts lors des fêtes, les youyous qui déchirent le ciel et ouvrent le bal lors des mariages et des circoncisions, tout cela revient d’un coup comme une bouffée d’air frais qui chasse la laideur et les aigreurs d’une pensée haineuse et inhumaine. Et alors, cette contrée quittée dans l’enfance et qu’on pensait définitivement livrée au retard, à l’archaïsme et à l’oubli, devient, comme par miracle, donneuse de leçons sur la convivialité et la tolérance. Dans des villes d’Occident épuisées par la crise et la solitude à laquelle se trouvent souvent livrés les hommes et les femmes, dans ces hauts lieux de la technologie où la finance fait loi et ne laisse nul répit aux faibles, le quartier d’antan où se côtoient les pauvres et les riches, les liens de parenté puissants, le rapport quasiment filial avec la nounou s’offrent soudain comme des portes de sorties, des voies de secours. Les perspectives changent alors. Le désespoir s’atténue pour faire place à un rapport plus humain entre les nations dans cette Méditerranée dont les gens sont si proches et où ils s’ignorent tant.
L’enfant né à Casablanca, Rabat où Marrakech investit alors l’adulte, homme d’affaires ou politique, pour lui rappeler son devoir d’homme de dialogue entre les pays, entre les cultures, son statut privilégié de passeur, parce qu’il est un enfant partagé entre des cultures supposées ennemies et qui sont chez lui unies et paisibles.
Par Mohammed Ennaji
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