Je ne veux pas être une femme

by Abdelhak Najib

Je ne voudrais pas être une femme. Pas dans ce pays. Pas dans les autres pays voisins de cette Arabie malheureuse, et jusqu’aux confins de l’Indus. Pas en terre d’Islam. Je ne voudrais pas servir d’offrande monnayable sur l’autel des archaïsmes. Je ne voudrais pas donner naissance à d’autres filles qui seront d’autres copies de ce que j’ai été, de ce que tous mes aïeuls ont toujours été…

Un jour une femme ancienne m’a dit : «Mon malheur de femme est géographique». J’ajoute, pour ma part, refusant encore et encore d’être une femme, que je ne voudrais jamais que mon destin devienne géologique. Je ne veux pas qu’au nom d’un crédo, la majorité des hommes ne voient en moi qu’une marchandise que l’on voit croître faisant pousser dans le cœur des autres l’envie de m’asservir, quand le moment viendra. Je ne veux pas me soumettre quand je serai vendue pour une dote à un homme qui me traite comme sa chose, son bien, son décor et sa récompense. Je ne veux pas voir dans les yeux des hommes la concupiscence, la cupidité, ce désir primal de me posséder et de me tourner le dos. Je ne veux pas enfanter comme si cela était ma marque de fabrique. Je ne suis pas venue au monde uniquement pour porter des enfants. Je ne suis pas née pour être une génitrice, parmi d’autres. Je ne veux pour rien au monde porter ma peur d’être femme et celle de ma fille qui le sera un jour. Oui, je refuse mon statut de femelle quand le mal me lacère de toutes parts.

Être femme, c’est se sentir agrandie. C’est se voir anoblie. C’est de s’aimer parce que je suis aimée et désirée. Être femme, c’est de toucher dans chaque geste l’estime et le respect. Être femme, c’est avoir ma place au sein d’une « société » qui aura fait le solde de tous comptes de toutes les formes de stigmatisation et d’avilissement. Une « société » qui aura fait son bilan cruel parce qu’elle a raté tous les rendez-vous avec sa propre histoire. Un pays dont les « décideurs » méprisent ma féminité et me marginalisent n’est pas un pays où je veux être femme. Un pays qui me confisque toutes mes libertés, n’est pas mon pays. Une terre qui brûle mes rêves est une terre d’exil. Je ne voudrais pas être apatride parmi « les miens » quand les « miens » m’assignent un coin réduit dans un asile social en déshérence.

Je voudrais être une femme dans tous les ailleurs où je suis une femme libre. Libre de mon corps. Libre dans mes désirs. Libre dans ma folie. Libre dans mes erreurs. Libre dans mes choix. Libre de dire oui et de dire non. Libre de participer à cet édifice que vous appelez « communauté » et qui ne peut se construire que sur un socle dont l’assise mobile est aussi portée par une femme. Je serai une femme quand le religieux verra en moi la promesse de tant d’avenirs. Je serai une femme quand le politicien verra en moi autre chose qu’un poids d’équilibre sur un échiquier branlant. Je serai une femme quand la femme pourra être.

Mais surtout, je serai femme, ici et maintenant, si je savais qu’il y aurait des hommes…demain.

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