Le cirque algérien

by Abdelhak Najib

Depuis 20 ans, le show Bouteflika a été émaillé de quelques épisodes d’anthologie. Des instants rares dans la planète de pouvoir absolu. Des moments inoubliables et surréalistes. Absurdes aussi. Mais depuis qu’il a arboré son accessoire fétiche pour gouverner tout un peuple muselé, il a pris du grade. Je dirai même qu’il a touché à un autre degré d’aberration et d’hilarité conjuguées. Vous vous souvenez de cette séquence où on lui offre un cheval ? Sauf que la bête n’a jamais vu le bonhomme. Sauf sa photo. Les sbires du régime Boutef ont poussé la rigueur surréaliste à ses confins. On a mené le cheval, un peu paumé, je dois le souligner sur cette estrade, entouré de généraux, de militaires de tous acabits et d’officiels impliqués et appliqués, vers une énorme image. Même le cheval a halluciné. Comment ? Quel affront ? On me dirige vers une image, mais il est où le bonhomme ?  Ce que le cheval n’avait pas compris c’est que quand on atteint ce stade de sainteté, on peut juste faire balader ses effigies un peu partout dans le pays et rester scotché à son fauteuil comme un enfant avec son joujou.

Il y a aussi cet autre passage tout aussi incroyable quand on a fait défiler son énorme portrait pour un défilé militaire. Tu vois le truc : tu as des deuxièmes classes par milliers et des officiers et des hauts gradés qui saluent un cadre qui passe. Evidemment, dans les dictatures qui se respectent comme c’est le cas à Alger, le culte de la personne, les images monumentales font office de gouvernance, mais de là à faire entrer dans la foire, des animaux, Bouteflika a dépassé tout le monde. Saddam, Kadhafi et les autres, ont été cloués au pilori. Il faut le dire, c’est une idée de génie de la part d’un président à vie, qui n’a jamais reçu une seule personne durant vingt ans de mandats cumulés. Pas un seul artiste, pas un seul intellectuel, pas un seul journaliste, pas un seul cinéaste, pas un seul citoyen.

Celui qui a exigé qu’on l’appelle Sa grandeur monsieur le président, a poussé la symbolique tellement loin, que le jour où il signe sa démission, il est assis sur son accessoire mobile en gandoura grise. Comble de l’élégance et de respect pour ce peuple algérien qui a tant enduré et qui n’est pas encore sorti de l’auberge. Ce peuple qui a été méprisé par un Bouteflika coupé des réalités de son pays.

On se rappelle cette phrase terrible quand on l’avait placé sur le trône d’Alger, s’adressant à un journaliste étranger lui disant qu’il n’est pas là comme président pour élever le peuple et l’aimer. Si le peuple veut rester arriéré, il va le rester. Ce jour-là, il aurait fallu comprendre le rapport du bonhomme au pouvoir et à l’exercice de l’Etat. Et là, depuis le 22 février 2019, ce même peuple a dit stop. De manière pacifiste, il a donné une leçon à l’armée, aux généraux, aux sous-fifres du pouvoir algérien, au clan Boutef, aux islamistes qui sont en embuscade… Le mot d’ordre est simple : liberté et dignité. Comme ces Algériens la méritent cette vie meilleure. Ils ont assez accepté, assez enduré, assez donné, mais ils n’ont pas oublié les années noires, les 200 000 morts, les répressions à répétitions et la confiscation des identités. Là, le cirque plie bagage. Il n’y a plus de spectacle. Il y a une nouvelle page à écrire, et les Algériens vont l’entamer avec  sérénité, sourire et amour. Amen.

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