Mohammed Zaari Jabiri : Chroniques d’un neurochirurgien schizo

by La Rédaction

« Pourquoi devient-on médecin ? » Une question que Mohammed Zaari Jabiri a dû se poser ad hoc face aux situations cornéliennes qui font son quotidien. Actuellement résident en psychiatrie à l’Université de Laval au Québec, ce jeune médecin nous emmène au CHU de Rabat où il a puisé le matériau premier de ses chroniques. Il nous livre le combat stérile du personnel médical condamné à subir les aléas d’un système de santé défectueux.

Difficile d’honorer parfois le titre du « plus beau pays au monde »! La lutte acharnée de ces employés rappelle, de plein fouet, la réalité de nos hôpitaux désignés ironiquement par l’auteur comme étant des pseudo « havres de paix ». En véritable anatomiste, Z.J décortique le vécu de nos jeunes médecins, fraichement diplômés et brutalement confrontés à la nature de leur spécialité : un métier hybride où l’on doit jongler avec plusieurs savoir-faire : assurer l’assistance sociale, l’accueil et la paperasse, courir comme un athlète et écouter comme un fin psychologue. Suturer, désinfecter et réanimer. Parfois même dans cet ordre ridicule et fatal. « La résignation vaut mieux qu’un espoir continuellement déçu», disait-à juste titre-Jean-Paul Sartre. Mohammed Zaari Jabiri qui abhorre «faire l’autruche» a eu le courage d’ouvrir la boîte de Pandore : l’épisode inaugural « A qui est la faute » dévoile l’Homme avec sa grande hache sapant tout sur son chemin pour assouvir son égoïsme. Il n’est pas surprenant que ce jeune militant, très tôt initié au travail humanitaire, décide de défendre la cause des « sans-voix». Il récuse, sans scrupule aucun, la cécité intentionnelle d’une machinerie sanitaire rouillée qui broie sans merci des destins humains pour profiter aux corrompus et aux autres responsables «irresponsables» dans les termes du D. Zaari. Un univers où essaiment l’intérêt, l’individualisme et l’instrumentalisation du pouvoir. Pour cet habitué du bloc opératoire, les patients rencontrés se nichent toujours dans les plis de ses souvenirs telle une blessure lancinante. Son écriture, scalpel à double tranchants, creuse au passage la chair du malade et la mémoire du médecin. D. Zaari s’incline humblement devant ses fantômes et regrette l’insuccès des efforts déployés pour les maintenir en vie. Réanimer ces visages par la magie de l’écriture est une vraie catharsis, une thérapie inouïe que permet la conversion de ce neurochirurgien en psychiatre : un remède contre la «schizophrénie» est né ! L’humour, épice incontournable des Chroniques est ce qui permet d’absorber la morosité des passages décrivant les hôpitaux marocains qui se décomposent sous la plume austère et grave de l’auteur : un ton aigre-doux qui fait la particularité du texte : « Eviter aussi l’excès de sel, l’excès de zèle et l’excès de sexe : un ‘pic hypertensif’ pourrait être explosif pour votre cerveau et le faire saigner, alors que la Peace and Love Attitude vous sauvera la vie », tempère-t-il. Le jeune médecin varie les registres et nous décrit dans un érotisme déconcertant une scène de flirt périlleux avec sa belle faucheuse insatiable à l’épisode 9 des Chroniques!
D. Zaari rend hommage à ces êtres éteints dont le parcours est extraordinaire dans la simplicité du combat pour la vie. Il soutient que leur grandeur n’a d’égale que l’acuité de leur désillusion au sein d’un système lui-même amputé de ses organes vitaux. Désenchanté, le médecin en lui rappelle in fine et sur un mode ‘‘notice’’ qu’il vaut mieux prévenir que guérir : « Assurez-vous d’avoir bien dans vos poches une somme minimale, disons, 150 euros, prévoyez des couettes [et ] du fil à suture adéquat, des antalgiques et du matériel de chirurgie, car notre matériel est soit défectueux, soit inapproprié, soit inexistant ». Le jeune neurochirurgien transfigure la morgue de l’hôpital en une galerie de personnages attendrissants: la petite Yetto, âgée de 6 ans souffre d’un écoulement de l’oreille négligé à cause de l’ignorance et de la pénurie. Son coma profond est indétectable alors qu’elle parcourt 400 km en direction de la capitale, dans un bus nauséabond et en compagnie d’un papa aussi terrorisé qu’impuissant. Mi Fatna, une mamie de 75 ans qui doit sa rencontre avec le docteur Zaari à un fatal saignement au cerveau qui vient compléter une série de pathologies : diabète, hypertension et une belle arthrose pour couronner le tout. Ne supportant aucun acte chirurgical, elle quitte ce monde dans une salle bondée de cafards et de mouches. Hamid, jeune maçon de 28 ans, pâtit d’une fracture dorsale grave avec atteinte de la moelle épinière suite à une chute de 10 mètres. Souffrir est un euphémisme lorsque l’attente désespérée d’une ambulance dure plus de 4 heures. Il arrive aux portes des urgences dans la boîte arrière d’un pick-up sur des routes extrêmement délabrées…Difficile de résister à ce que le docteur Zaari Jabiri appelle subtilement « les fuites psychologiques » chez les médecins : un mécanisme de défense chancelant face à de telles scènes ! Qu’ils s’appellent Yetto, Mi Fatna ou Hamid, ces stars des Chroniques n’ont rien à envier aux héros des grandes tragédies antiques, car, dignes dans leur malheur et vulnérables dans leur combat. L’auteur en fait des êtres palpitants. Lovés à jamais dans sa mémoire, ils reçoivent enfin l’adieu ultime et solennel : une magnifique pierre tombale dont ils sont les «co-auteurs»: un récit moderne sur la vie, le combat et la détermination: des valeurs chères au médecin doublé d’homme de coeur qu’est Mohammed Zaari Jabiri.

 

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