Yassine Sellame & Paulin Amato : artisans de l’image

by La Rédaction

Dans un monde dominé par le numérique, deux résistants du beau et de l’authentique reviennent à l’argentique. Yassine Sellame et Paulin Amato, deux photographes de talent nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont pas ou peu connue, ont trouvé leur manière d’appréhender le réel. Pour ce faire, ils créent Moroccan Dark Room pour démocratiser et relancer la pratique de l’argentique au Maroc, tout en travaillant sur un projet photo concernant le Skate Park de Nevada, « Nevada, la Nouvelle Yasmina », projet qui parle de la place centrale qu’occupe aujourd’hui le skatepark très fréquenté face au jardin de la ligue arabe, encore depuis bien trop longtemps en travaux. Portfolio.   

Pourquoi l’argentique, alors que le monde est dominé par le numérique ?

Yassine Sellame : Mon premier appareil, c’était un appareil argentique. L’argentique est tout à fait différent par rapport au digital. Quand je shoot et je développe mes propres pellicules, je me sens comme créateur de ma propre photo, à travers toutes les étapes et le temps que je passe jusqu’à faire apparaître l’image sur le négatif.

Paulin Amato : La photographie argentique est un rapport au temps différent, chaque moment capturé est précieux, unique. Il y a un travail de cadre qui prend son sens lorsque l’on découvre les photos après avoir développé, un travail de mémoire. Le rendu de l’image et surtout de la lumière est vraiment très particulier. Il y a aussi un côté artisanal quand on développe soi-même ses photos.

Quels en sont les plus et les moins ?

Y.S : Les plus de l’argentique c’est l’esthétique de l’image, le grain et les couleurs bien sûr.
Je conseille aussi l’argentique aux débutants, cela aide à améliorer la technique photographique. En ce qui concerne les moins, l’argentique est coûteux dans le monde entier, et ici au Maroc, la rareté des films et des produits argentiques peut être un frein, même si on peut se procurer des produits à l’étranger.

P. A : Les plus de l’argentique c’est la manière dont la lumière est captée par la pellicule, le grain, la couleur, tout cela est unique. C’est aussi une très bonne école pour acquérir les bases de la technique photographique, apprendre à se faire confiance, faire des erreurs et travailler pour s’améliorer. C’est aussi beaucoup plus libre et proche Les moins, c’est coûteux, c’est un processus plus lent que le numérique, mais cela occasionne aussi une réflexion différente et une pratique plus rigoureuse, et qui demande peut-être plus de discipline.

Que représente pour vous l’argentique ?

Y.S : L’argentique pour moi c’est une thérapie. Une nouvelle manière d’appréhender le réel, le monde qui m’entoure.

P. A : L’argentique est un moyen pour moi de suspendre le temps, c’est une quête à la recherche de la bonne lumière. 

Comment est née la passion de la photographie ?

Y.S : J’ai découvert la photographie grâce au Skateboard, surtout à travers les magazines et les vidéos de skate. Je pratique le skate depuis 2008, et vers les années 2013 / 2015 j’ai commencé à photographier. 

P. A : J’ai découvert la photographie grâce à un photographe et cinéaste, Jean-Pierre Larcher, qui m’a offert mon premier appareil, un Nikkormat FTN et j’ai depuis, commencé à prendre en photo principalement la rue, les moments de poésie du quotidien, et à me renseigner sur les grands photographes qui ont fait l’Histoire de cet art.

Qu’est-ce qu’a apporté la photo argentique à votre oeil de photographe ?

Y.S : L’argentique apprend déjà la patience, la maitrise de la lumière, et on peut explorer sans limite les techniques et les différentes esthétiques selon le type de films, selon le genre d’appareil, avec la couleur ou le Noir & Blanc. 

P.A : L’argentique est l’art de la patience, de l’application, et du moment décisif. A force, on commence à sentir quand il faut déclencher. C’est à chaque fois comme un défi, il faut se mettre dans la bonne énergie pour espérer réussir ses photos. 

Qu’aimez-vous prendre en photo ?

Y.S : Quand j’ai démarré la photo, j’ai commencé par documenter la communauté du skate à Marrakech. Puis, à photographier dans plusieurs villes au Maroc. Mais j’aime beaucoup prendre en photo des portraits de gens que je rencontre. L’appareil est pour moi un outil de connexion émotionnel avec les gens que je prends en photo. 

P.A : J’aime prendre la rue en photo. Les lumières qui redessinent l’architecture, des silhouettes passant, des situations dans lesquelles les personnes semblent rêveuses, dans leur monde au milieu du vacarme urbain.

Avez-vous une technique particulière ?

Y.S : La photographie argentique met à disposition beaucoup de techniques particulières. Dans ma pratique, je considère que le choix de développer mes pellicules moi-même constitue déjà quelque chose de particulier. 

P. A : Je privilégie très souvent le cadre avant tout, car c’est selon moi ce qui donne tout le sens d’une photographie. La composition, l’équilibre. Puis la lumière, ou presque en même temps très souvent, et ensuite la technique permet de transmettre l’émotion voulue. Je commence aussi à travailler un peu avec la double-exposition, réfléchir au sens que peuvent donner deux images superposées. 

Qui sont les photographes qui vous fascinent ?

Y.S : Daoud Aoulad-Syad, Daniel Arnold et Vivian Maier. 

P. A : Bernard Plossu, Raymond Depardon, Diane Arbus.

La photographie parfaite selon vous ?

Y.S : Selon moi, il n’y a pas de photographie parfaite. Je respecte toutes les démarches et toutes les différentes techniques photographiques, il faut juste structurer sa vision et essayer de trouver le style qui convient à la vision qu’on veut donner. 

P. A : La photographie parfaite, comme dirait Cartier-Bresson, c’est la photographie où on a réussi à aligner la tête, l’oeil et le coeur. D’une émotion, d’un regard, d’une pensée, naissent les plus beaux clichés. 

Vos photos, sont-elles mises en scène ?

Y.S : Quand je prends en photo une personne ou un groupe pour un sujet déterminé, je commence par entamer une discussion afin de bien connaître la personne. A la suite de quoi, je fais poser les personnes en fonction de leur personnalité, de leur état d’esprit. Par contre, pour les photos de skate ou la Street Photography, je m’adapte à l’environnement et je prends la photo qui m’attire le plus. 

P.A : En street photography, quasiment jamais. J’attrape l’instant là où je me promène, même s’il m’arrive parfois de prendre en photo des personnes qui me le demandent. Mais ce n’est pas la même sensation, j’aime essayer de capturer le naturel des situations que je vois. En portrait, oui, il s’agit bien sûr de mise en scène.

Avez-vous toujours une idée précise de la photo que vous voulez prendre ?

Y.S : J’ai toujours beaucoup d’idées pour les shoots, j’attends toujours le bon moment, le bon modèle. Pour ce qui est du Skateboard au Maroc, je connais assez bien la communauté, et je continue de documenter cet univers ici au Maroc.

P.A : Souvent, des images m’influencent inconsciemment, et au moment de photographier, elles surgissent, et me poussent à expérimenter des cadres, de nouvelles techniques, de nouvelles idées. Je pense qu’il est essentiel de regarder les travaux photographiques des artistes contemporains et du siècle dernier.

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