C’est un triomphe aussi inattendu que profondément symbolique. Le réalisateur iranien Jafar Panahi a décroché la Palme d’or du 78e Festival de Cannes pour Un simple accident, un film tourné dans la clandestinité, avec la détermination fiévreuse d’un homme qui n’a jamais cessé de filmer, même sous le poids de l’interdiction. À 64 ans, l’auteur de Taxi Téhéran a enfin pu fouler le tapis rouge cannois après quinze ans d’absence forcée, recevant son prix des mains de Juliette Binoche, présidente du jury. Dans une prise de parole bouleversante, Panahi a dédié cette reconnaissance au combat pour la liberté en Iran, affirmant : « Le plus important, c’est la liberté de notre pays. »
Le film, saisissant d’humanité, s’attarde sur la tentation de vengeance d’anciens prisonniers envers leurs tortionnaires, dans une narration sobre, grave et implacable. Panahi y poursuit son exploration du courage face à l’oppression, lui qui fut condamné en 2010 à six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tourner. Pourtant, fidèle à sa vision du cinéma comme acte de survie, il rappelait encore mardi : « Je suis vivant tant que je fais des films. »
Autre moment fort de la soirée : le sacre de Nadia Melliti, révélée par La petite dernière, dans lequel elle incarne avec justesse Fatima, une adolescente musulmane qui découvre son homosexualité. Le film, adapté du roman autobiographique de Fatima Daas, est signé Hafsia Herzi. Melliti, encore étudiante, a été repérée lors d’un casting sauvage : une ascension fulgurante récompensée par le Prix d’interprétation féminine.
Côté masculin, c’est le Brésilien Wagner Moura qui a été honoré pour son rôle dans L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho. Habitué des écrans internationaux, notamment pour avoir incarné Pablo Escobar dans Narcos, Moura livre ici une performance puissante d’un homme traqué, tout en tension et intériorité. Le film a d’ailleurs aussi valu à Mendonça Filho le Prix de la mise en scène.
Enfin, le palmarès reflète une édition audacieuse, voire militante : le Grand Prix revient à Joachim Trier pour Valeur sentimentale, tandis que les Dardenne remportent le Prix du scénario avec Jeunes mères. Le Prix du jury a été partagé entre Sirâth d’Oliver Laxe et Sound of falling de Mascha Schilinski. On notera aussi le Prix spécial à Résurrection de Bi Gan, et une Caméra d’or pour The President’s Cake de l’Irakien Hasan Hadi.
Cette 78e édition aura donc été marquée par une politique de la sélection assumée, entre dénonciation, témoignages intimes et appels à la justice. Un festival de Cannes plus que jamais miroir des fractures du monde, et creuset d’un cinéma en lutte.