Rire, c’est toujours mieux à deux

by La Rédaction

Le rire et l’humour au Maroc ont toujours été liés à l’Histoire du pays. Avec les pionniers comme Kadmiri et Bidaoui en passant par les grands Duos, la politique a constamment servi de socle pour faire rire et ironiser. Khatri Joummani aura été le summum d’une passion marocaine pour l’ironie et les fous rires.

L’histoire du rire au Maroc est complexe. Mais elle a de drôles de coïncidences. Et de paradoxes aussi. Elle n’est pas ancienne non plus. Si on a toujours raconté des blagues et des anecdotes, et même des histoires historiques déclinées sur le mode de l’ironie et de la comédie, le rire est né dans la rue (voir le texte de Mohamed Ameskane sur le rôle de la « Hal9a » dans l’histoire du rire au Maroc.)

Dans cette histoire somme toute récente, comment s’est construite la culture du rire ? Le rire est une vertu que Dieu a donnée aux hommes pour les consoler d’être intelligents, disait Marcel Pagnol. Est-ce vrai dans le cas des comiques et humorists marocains de la première heure? Oui et non.

Les grands duos

Les grands duos de l’histoire du rire à la marocaine: Kachbal et Zaroual, Karzez et Mahrach, Abdeljabbar Louziri et Belqass, Bziz et Baz, Dassoukine et Zaari, Ajil et Foulane, pour ne citer que ces figures qui sont entrées dans les annales de l’humour marocain, ont tous fait prevue de grande intelligence. Pour preuve , ils sont presque tous des piliers du théâter marocain. On pense à la magnifique carrière d’Abdeljabbar Louziri et à celle de son acolyte Belqass, parti très tôt, emporté par la maladie. Dassoukine et Zaari ont écrit d’inoubliables pages de la télévision et des planches au Maroc. Ajil et Foulane ont illuminé pendant plus d’une décennie la scène du théâtre populaire. Non, parce que presque tous les grands noms n’ont pas su se recycler, réinventer leurs carrières et apporter un nouveau souffle à leurs créations, une fois le fonds de commerce épuisé. Ce qui a donné naissance à des expériences en solo. Qui elles aussi avaient puisé dans le repértoire national datant de la colonisation. Ahmed Kadmiri et Bouchaid El Bidaoui étaient des stars, des pionniers, des porteurs d’eau pour toutes les générations qui allaient suivre. A la même époque brillaient des figures comme Abderrahmane Souiri, Driss Abbas, Ahmed El Jamali, Abdesslam El Meknassi, M’Fadel Lahrizi, Maréchal Kibou et évidemment Baâzizi, qui a toujours été l’accompagnateur des grands. Il faut ici rappeler que même dans le cas des deux pionniers, Kadmiri et Bidaoui, c’est d’abord le duo qui a ouvert le bal, avant des carrières solos de grand acabit. Mais comme dans chaque association, il y a toujours un qui tire l’autre vers le haut. On ne s’en cache pas: Bziz était bien plus coriace et solide que Baz. On voit bien la suite de ce duo mythique et révolutionnaire.

Ahmed Senoussi dit Bziz a gardé et développé aux extrêmes son côté révolutionnaire et contestataire alors que Lahcen Beniaz dit Baz, s’est rangé dans un humour plus conventionnel.

Le phénomène Joummani 

Ce qui est à souligner, c’est que tout le paysage artistique marocain, du théâtre à la télévision en passant par la radio, était marqué du sceau du rire. Du rire à toutes les heures et à toutes les sauces. On sortait d’une époque noire de l’hsitoire du pays. Fin de la colonisation. Les Marocains avaient grand besoin de souffler, de rigoler, de s’amuser et de tourner une page difficile. Place à l’ironie. Place à l’humour. Place aux blagues.

C’est là que Khatri Ould Sidi Said Joummani fait son entrée en jeu. Grande figure du rire, personnage que l’on affublait de tous les sobriquets, il était de toutes les sorties. Pour faire rire, il suffit encore aujourd’hui d’accoler son anecdote au nom de Joummani. Il se mariait à tous: sexe, politique, couple, argent, espionage, identité tribal, le riche et le pauvre, le blédard et le citadin… il y en avait pour tous les goûts. Grande ingéniosité dans ces années 70 et 80 qui restent de loin, l’apogée du rire au Maroc. Finesse, subtilité, grosses productions de blagues, on avait l’inédit au bout de la langue, à tous les instants. C’est à cette période que des figures mythique comme Kira ont vu le jour. Kira, le grand compagnon de Nass Al Ghiwane, l’homme de Derb Moulay Chérif, tirant des blagues plus vite que son ombre, aura été l’une des stars méconnues de ce long chapitre pour biaiser avec les réalités amères et faire dévier le cours implaccable des jours. Avec Khatri Joummani, les deux compères auront façonné une période clef de l’histoire du Maroc. Là aussi, le context historique est capital. Années difficiles, années d’instabilité politique, plus tard baptisées années de plomb, mais au niveau zygomatique, on riait aux larmes, on faisait des pieds de nez au destin à force de blagues salaces et irréverncieuses. C’était la grande époque de l’ironie contre l’ordre établi. Et comme c’est curieux que c’est une figure makhzénienne qui présidait au rire des Marocains.

Les cavaliers seuls 

Changement d’époque, changement de moeurs et donc d’attentes du public. Nait le One Man Show. Le Maroc va produire de bonnes valeurs, toutes inscrites dans un rire ancré dans le terroir. Abderraouf, Abdelkhalek Fahid, Mohamed El Khiyari, Mohamed El Jem, Said Naciri, Aziz Fadili, Hassan El Fed, Hanane Fadili, Miz ou encore des noms comme Rachid Allali, qui font aujourd’hui la couverture de ce numéro de VH.

Les sujets de la première heure n’ont pas beaucoup changé, malgré le passage du temps: “Dès le départ, le public marocain s’est accroché aux amarres de notre humour décapant, aimait rappeler Baazizi. Car outre les situations qu’il évoquait, c’étaient des scènes de vie de la société en général avec toutes ses composantes et ses diversités. Nos pièces théâtrales reflétaient le Maroc d’alors, uni autour d’un substrat où coexistaient des gens de différentes confessions. Le Bledard, le Berbère, le Juif, entre autres, tous avaient leur place dans la société marocaine.» Aujourd’hui encore, on met en scène les identités marocaines. Aujourd’hui encore, on rit du couple, on ironise sur le sexe et ses dérives, on épingle les politiciens, on cloue au pilori les escrocs de tous poils. Les discours ont certes été revus au goût du jour, les paroles et les textes ne sont pas les memes, le langage ayant évolué, mais le fond du tiroir est identique à quelques exceptions près. Alors que retient-on de l’histoire du rire au Maroc? Le besoin du Marocain de se dérider. C’est dans son ADN. Il a besoin de se donner du champ en ouvrant les vannes et lâchant les turbines du rire. Une qualité salvatrice qui a fait ses preuves. Car mieux vaut rire de tout que se faire du mourons pour rien.

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