NABIL BENABDELLAH : COMMUNICATEUR D’ETAT

by La Rédaction

Ministre de la communication et porte-parole du gouvernement depuis 2002, ce cadre du parti du progrès et du socialisme manie avec aisance la rhétorique aussi bien en arabe qu’en français. de l’évolution de la presse aux réformes de l’audiovisuel, de son parcours de militant à ses fonctions de ministre, il commente l’actualité du moment. sans langue de bois;

Entretien réalisé par rafik lahlou, hicham smyej, mouna lahrech

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je suis natif de Rabat et j’y ai passé toute mon enfance et ma jeunesse. J’ai été élève à l’école Saint-Exupéry, une école de la mission, puis au lycée Descartes, où j’ai obtenu mon baccalauréat en 1977. Je suis alors parti en France poursuivre des études de Droit et en relations internationales, puis en langues, à l’Institut national des langues et civilisations orientales. J’y ai obtenu mon diplôme en 1985, avant de rentrer au Maroc. A ce moment-là, j’avais déjà une assez bonne connaissance de la chose politique. En fait, j’ai commencé à m’y intéresser dès mon adolescence : j’avais quelques idées de démocratie, de socialisme, d’égalité. À mon arrivée en France, j’ai logiquement fréquenté les cercles de l’UNEM. Et au bout de ma première année, mon choix était clair : adhérer au Parti du Progrès et du Socialisme. Pendant toute ma vie d’étudiant, j’ai assumé plusieurs responsabilités à Paris, aussi bien au sein de l’UNEM qu’au sein du PPS.

Pourquoi le PPS ?
C’est la conjonction de plusieurs éléments. D’abord, le parcours de mon père, qui fut un activiste du mouvement national, au sein du parti «Hizb Acchoura oual Istiqlal». Probablement que les valeurs dans lesquelles j’ai été éduqué au sein de ma famille, des valeurs de probité, d’honnêteté et d’amour du pays, y sont aussi pour quelque chose. Je pense également que c’est parce que j’ai grandi dans un quartier situé entre les quartiers populaires et les quartiers riches de Rabat. Cela m’a permis de fréquenter les deux milieux et de développer une grande capacité d’adaptation. C’est quelque chose que je continue à utiliser aujourd’hui dans ma vie : je suis aussi à l’aise dans les milieux populaires que dans les milieux d’un certain niveau.

Le PPS, ce n’était pas aussi une question de rencontres ?
Pas spécialement. C’est surtout une question d’idées. Vous savez, à l’époque, les formations politiques étaient entrées dans une logique de surenchère. Et de nombreux militants de l’UNEM étaient des tenants de la rupture totale avec le pouvoir, un discours qui pouvait paraître plus révolutionnaire. Mais j’ai rapidement compris qu’il s’agissait plus de phraséologie révolutionnaire que de l’analyse réelle d’une réalité. C’est pour cela que l’aspect rationnel m’a attiré chez le PPS. C’est une tendance politique qui dit les choses avec raison, avec pragmatisme, qui considère que la politique est l’art du possible, et non pas l’expression d’états d’âme.
Le parti a eu l’intelligence, sous la houlette d’un grand homme, Ali Yata, de s’adapter et de rompre avec une vision qui ne faisait pas de l’idéal patriotique un élément essentiel de l’approche politique du parti communiste de l’époque. Dès 1966, le parti avait considéré que l’Islam et la monarchie étaient des composantes essentielles de la société marocaine et qu’il y avait lieu de s’adapter à cette réalité.

Reconnaissez tout de même que «monarchiste de gauche», c’est, dans l’absolu, contradictoire…
Non, pas forcément. Ce qui importe le plus, c’est que l’évolution de notre pays se fasse de manière positive et dans la stabilité. Loin de ce que j’appelle «la phraséologie révolutionnaire», dont la totalité des partis de gauche marocains sont d’ailleurs revenus : aujourd’hui, aucune tendance politique officiellement organisée ne remet en cause la monarchie. On discute certes des prérogatives, du partage des pouvoirs, mais le régime n’est jamais remis en cause. Il leur a fallu du temps pour y arriver, alors que le PPS en avait convenu dès 1966. Il en a fait de même pour la question de l’Islam comme religion d’Etat. Est-ce que nous allons inventer une société autre en décrétant que les Marocains ne sont pas attachés à leur religion ? Le parti avait très tôt considéré que c’était là deux composantes essentielles.

Dans quelles circonstances avez-vous quitté Al Bayane, dont vous avez été le directeur durant trois ans ?
J’ai quitté cet organe en 2000, dans des conditions assez délicates. Je suis parti au bout d’une seconde démission, parce que je n’avais pas obtenu les moyens de réaliser les ambitions que j’avais pour ce quotidien. Je suis parti du journal, mais je suis resté membre du bureau politique, toujours en charge de la communication. Et en 2002, à l’issue des élections législatives, j’ai eu l’honneur d’être choisi par Sa Majesté pour faire partie de ce gouvernement, en tant que ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement.

Justement, quelles sont les attributions du ministre de la Communication ?
Elles englobent beaucoup de choses. D’abord, accompagner une importante réforme du secteur de l’audiovisuel, de manière à mettre le paysage audiovisuel marocain au niveau de ce qui se passe à l’échelle internationale et lui assurer les conditions pour atteindre ces objectifs. Cela signifie également accompagner le secteur de la production audiovisuelle nationale et faire émerger une véritable industrie dans ce domaine. Et puis le cinéma, où il y a nécessité de booster la production nationale, et je crois que là aussi, nous avons fait quelques petites choses intéressantes. Il s’agit également de contribuer à mettre à niveau la presse écrite, un secteur délicat, où, comme vous le savez, existe une forte suspicion, avec de sérieuses crispations entre les journalistes et l’Etat. Ma première mission était de casser ce bloc de glace. Et je pense y être arrivé en grande partie : la Fédération des éditeurs de journaux, le Syndicat de la Presse et l’Etat sont aujourd’hui des partenaires. Bien sûr, il reste quelques récalcitrants ici et là, mais ils ne constituent qu’une petite minorité.
Il s’agit également de lutter contre le piratage intellectuel en instaurant une véritable culture de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur. C’est malheureusement le domaine où j’ai le plus de regrets. Mais il faut convenir que ce n’est pas un problème simple à traiter. Parce que le piratage et la contrefaçon font vivre des milliers de familles. Ce n’est pas la simple répression qui pourra en venir à bout. Il faudra imaginer une approche globale, à la fois politique, économique et sociale. C’est ce que nous sommes en train de faire, mais cela prend nécessairement du temps et c’est bien évidemment moins visible que les réformes engagées en matière d’audiovisuel ou de presse écrite. Enfin, il y a la communication globale du pays : faire en sorte que le «produit Maroc» soit correctement appréhendé et approché. Et ceci tant à l’échelle nationale, en vue de susciter l’adhésion des différentes couches de la population au projet politique que nous développons, qu’à l’échelle internationale, de manière à faire émerger l’image d’un Maroc qui bouge, qui change, qui se modernise et se démocratise. Ceci est une partie importante de mon travail. Et, à côté de la fonction de ministre de la Communication, il y a celle de porte-parole du gouvernement, qui fait qu’au quotidien, il faut être sur le qui-vive, réagir à tout événement et donner une position officielle du gouvernement. Il s’agit d’être très présent dans les médias et, comme le disait mon homologue français, d’y dire le moins de bêtises possibles. Voire de ne pas en dire du tout. Parce que généralement, quand c’est le cas, le lendemain, on n’est plus là.

Et ça ne vous est jamais arrivé ?
Écoutez, je suis encore là.

Quelle est la rupture fondamentale qui a été faite avec votre ancêtre, le ministère de l’Information ?
C’est à vous d’en juger. En décrivant mes fonctions, je n’ai à aucun moment parlé de sécurité, de contrôle ou de censure. Bien au contraire. J’ai parlé de développement, de libéralisation et de réformes.
La différence tient dans une question de conception : nous parlons ici de communication, dans son sens politique noble, mais aussi de la communication en tant que secteur économique productif, créateur de richesses et d’emplois. C’est comme cela que j’ai conçu ma fonction dès le départ.
Bien évidemment, je m’attends à ce que vous me posiez certaines questions. Pourquoi y a-t-il eu tel ou tel problème ?
Disons que cela fait partie de la gestion d’une situation spécifique, dans un Maroc en transition. Il a fallu gérer de temps à autre quelques problèmes inhérents à une liberté d’expression qui n’a pas encore trouvé son équilibre.
Une situation où l’Etat a un certain mal à définir les contours de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas ; et où les organes de presse ne maîtrisent pas les marges, pour ne pas parler de limites, à donner à cette liberté d’expression et la dose de responsabilité qu’il y a lieu d’y introduire.

Comment peut-on définir cette liberté et cette responsabilité ?
La société, les protagonistes et la dynamique sociale contribuent à la définir. Elle ne se définit pas par décret, ni dans une période précise. On ne peut pas se mettre autour d’une table ce soir et se retrouver, dès le lendemain, sur la même longueur d’onde.
Mais force est de constater que nous avons fait un pas de géant dans ce sens. Un pas qui a permis la tenue des Assises nationales de la presse, l’adoption de réformes consensuelles et la préparation d’un Code de la presse qui consacre la liberté, tout en protégeant la société contre les excès éventuels de la presse…

Justement, où en est cette réforme du code de la presse ?
Nous sommes en train de travailler sur cette réforme, que nous pensons nécessaire.

Mais on n’en sait rien, il n’y a pas encore eu de débat public…
Nous sommes en train de préparer ce nouveau Code de la presse en utilisant une approche que je crois beaucoup plus intelligente. Nous avons procédé par association et par implication, en privilégiant le partenariat, avec le syndicat national de la presse et avec la Fédération marocaine des éditeurs de journaux. Deux structures qui sont largement représentatives, même si une minorité ne s’y retrouve pas.
Nous nous sommes mis d’accord sur une approche et un texte novateurs, en nous inspirant des lois qui encadrent la presse dans différents pays, pour essayer d’en sortir le meilleur. Le nouveau code tendra non seulement à supprimer la quasi-totalité des peines privatives de liberté, mais également à revoir les systèmes de saisies et d’interdictions des journaux.
L’objectif est de faire en sorte que ce texte soit traité à travers le prisme du respect des droits de l’Homme, et du respect des règles les plus élémentaires de la démocratie.
Mais la démocratie, c’est également des devoirs et des obligations à l’égard d’une société. Ce Code de la presse devra garantir à toute personne physique ou morale la possibilité de se défendre face à la presse, qui peut se rendre coupable d’excès ou de pratiques répréhensibles. C’est pour cela que nous avons cherché à trouver un certain équilibre, à force de concertations, de discussions et de partenariats.
Ce texte va passer par le Conseil du gouvernement et le Conseil des ministres, avant d’être soumis au Parlement. Ce sera alors l’occasion d’un débat public, ouvert aux députés et conseillers, mais aussi à la presse nationale, aux ONG, aux partis politiques…

En parlant de presse, que pensez-vous des montants que Tel Quel et Le Journal ont été condamnés à payer au terme de leurs procès ?
J’aimerais beaucoup être en mesure de vous répondre. Sincèrement, je ne cherche pas à échapper à la réponse, ce n’est pas dans mes habitudes. Il se trouve cependant que je suis représentant d’un pouvoir, qui est celui de l’exécutif. Et que ce que vous me demandez, c’est de commenter une décision de justice, qui appartient à un pouvoir judiciaire. Les règles les plus élémentaires de la démocratie m’empêchent de commenter ces procès.

Pour revenir à ce Code de la presse, serait-il possible d’avoir quelques révélations sur les nouveaux articles phares ou les amendements phares ?
Nous avons été visiter les articles les plus archaïques, les plus désuets et nous les avons tout simplement supprimés. Nous avons ainsi supprimé les peines privatives de liberté dans près de vingt articles sur vingt-quatre et nous sommes en discussion sur le reste. Nous avons également revu les systèmes d’interdiction ou de saisie, mesures qui existent, je tiens à le rappeler, dans le monde entier. On a tendance à oublier ou à feindre d’ignorer que dans tous les pays du monde, des mesures d’interdiction et des peines privatives de liberté existent dans les lois encadrant la presse.

Oui, mais dans des cas extrêmes…
Le fait que le pouvoir judiciaire n’y recourt pas, c’est un autre problème. Tout dépend du système de valeur de chaque pays. Notre système de valeur, et j’ai déjà eu l’occasion de le dire, est basé sur la monarchie. En France, on parle des valeurs républicaines. À chacun ses valeurs, à chacun la phase historique dans laquelle il vit. Nous devons aller résolument vers la démocratie, vers la modernité. Mais nous devons en même temps tenir compte de l’étape sociale et culturelle dans laquelle nous nous trouvons. Il faut faire attention à ne pas aller trop vite, à ne pas énoncer un certain nombre de concepts qui pourraient donner, pour de multiples raisons, un résultat fondamentalement contraire.
S’il m’était demandé mon avis personnel sur la laïcité, je pourrais l’exprimer à titre privé. Mais à titre public, je soutiens que défendre la laïcité n’aura comme seul résultat que le renforcement des tendances obscurantistes. Nous vivons dans une société qui, majoritairement, considère que la religion fait partie de son identité.

Une société démocratique est pourtant une société qui accepte un débat contradictoire.
Mais elle l’accepte ! Ces thèses-là sont développées, souvent sur la place publique. Il y en a même qui parlent de République ! Mais du point de vue de la pertinence politique, défendre la laïcité est quelque chose de prématuré pour notre société. Il est bon qu’il existe des personnes qui en parlent. Mais ne demandez ni au gouvernement, ni aux forces politiques les plus en phase avec la réalité du pays de développer un tel discours. Ils ne vous suivraient pas, parce que, tout simplement, la société ne les suivra pas. Elle va les fuir pour rejoindre les tendances les plus réactionnaires et le plus conservatrices.
Personnellement, quand je fais de la politique, je pense aux moyens de faire avancer les choses dans le sens qui me paraît le plus favorable au pays. C’est-à-dire dans celui de la démocratie, de l’égalité, de la liberté et du progrès. Mon vrai souci est de faire en sorte que le train puisse régulièrement avancer. Mais il ne sert à rien de développer des concepts et des principes qui ne soient pas en phase avec ce que souhaite l’immense majorité de notre société.

Cette presse dépend du parti qui l’a créée…
Oui, elle dépend de son parti. Et la presse privée dépend de ses actionnaires, de leurs intérêts ou au moins de leur vision. Toutes choses qui conditionnent leur ligne éditoriale. Et certains défendent de véritables projets de société et une véritable ligne politique. Au lieu d’exposer un certain nombre de points de vue différents, ils se contentent souvent d’énoncer leur propre vision et de manière péremptoire : «voici ce que vous devez pas faire sur telle question et voilà ce que vous ne devez faire sur telle autre». Et tout ce qui sort de leur propre schéma est reçu avec un refus et un dénigrement systématique. Lorsque je ne suis pas d’accord avec ces visions-là, je le dis, je le revendique. Et c’est mon droit le plus absolu. Comme c’est leur droit le plus absolu de développer les idées qu’ils veulent, tant qu’ils respectent la loi de notre pays. Nul n’est au-dessus de la loi, pas plus un ministre qu’un journaliste ou un simple citoyen. Pour autant, je soutiens que la majorité de cette presse, dite indépendante, se situe dans une ligne plus honnête : tantôt ils sont critiques, tantôt ils approuvent. Ils expriment une certaine diversité, ce qui est tout à fait naturel.

On a donc le droit d’exprimer les idées et les idéaux que l’on veut…
Je pense qu’une société qui choisit d’être démocratique doit avoir la capacité de payer le prix de la démocratie. Et ce prix, c’est d’accepter l’expression de points de vue divergents. Seulement, il faut que ces points de vue s’expriment, je le répète, dans le cadre du respect de la loi. C’est aussi simple que cela. Si un journal marocain publie des propos attentatoires à la vie privée d’une personne, il est normal que celle-ci se défende et aille en justice. Et dans ce cas, il est malhonnête de crier au scandale et de répéter qu’il y a volonté de museler la presse.

Vous allez me sortir la litanie classique, qui est un argument facile : «encore faut-il que la justice soit indépendante !».

Mais alors, dans ce cas, attendons et arrêtons tout ce qui bouge dans ce pays, car : «encore faut-il que nous ayons un système éducatif efficace», «encore faut-il que nous ayons des valeurs culturelles qui soient au niveau de ce qui se passe en Occident !», «encore faut-il que nous réformions le système des transports dans le pays !»… etc.
Nous sommes un pays en mutation. Nous ne sommes pas parfaits. Et cela est valable pour tous nos secteurs, celui de la presse comme celui de la justice.
Il faut donc arrêter de considérer que, au prétexte de respect de la liberté de la presse, il est possible d’insulter impunément des personnes. Celles-ci ont parfaitement le droit d’aller se défendre devant la justice. Il n’est pas normal que quelqu’un puisse attenter à votre dignité ou à la mienne, sans que nous n’ayons, ni vous, ni moi, les moyens de nous défendre.
Et je vais aller plus loin. Il n’y a pas eu que des procès à caractère privé entre des particuliers et la presse, il y a eu également des questions sur lesquelles le Parquet est intervenu. Cela est arrivé après la publication d’un certain nombre de photos touchant la vie privée de la famille régnante. Cette famille a droit au respect de sa vie privée, surtout de par les valeurs marocaines. Je ne pense pas qu’un citoyen marocain souhaiterait que des photos reproduisant sa vie derrière les rideaux puissent être publiées, sans son accord. Il y a des choses qu’il faut respecter. Et c’est cela, la liberté de la presse. Par contre, s’il s’agit de critiquer des orientations politiques officielles de l’Etat et de ses institutions, il n’y a aucun problème. Que ces questions soient débattues, que des personnes et que des journaux expriment des avis critiques ou divergents, cela ne peut que renforcer la dynamique de la démocratie.

Il est normal que les atteintes à la vie privée ou à la dignité des personnes soient sanctionnées.

Ce qui est étonnant, c’est la disproportion de ces sanctions par rapport au chiffre d’affaires de ces entreprises de presse, qui peuvent mettre leur existence en danger.
Oui, j’aimerais vous dire que dans un certain nombre de pays, plus développés, où la presse a des moyens plus importants, lorsque des questions de diffamation ou d’insultes sont traités, les amendes sont extrêmement lourdes. En Amérique, elles se comptent en millions de dollars.

Oui, mais ces entreprises de presse sont en mesure de les payer. Ce n’est pas le cas des nôtres.
Je vous le concède. Aujourd’hui, il y a lieu de comprendre que les amendes doivent être susceptibles de jouer leur rôle, faire en sorte que l’esprit de justice soit respecté. Car l’esprit de justice, qu’est-ce que c’est ? C’est qu’à travers un système de justice, les infractions à un ordre social que nous avons communément choisi puissent être punies de manière à ce que les citoyens comprennent qu’il n’y a pas lieu de faire cela, que la personne concernée ne répète pas ce qu’elle a fait. Donc il faut que la loi joue le rôle répressif nécessaire, sans que cela soit une répression derrière les barreaux. Si un journal, alors qu’il a détruit la vie d’une personne, se retrouve avec une amende de seulement 50 000 DH,  ou 100 000 DH, je peux vous dire que, demain, je créerai un journal, que je mettrai une cagnotte d’un million ou de deux millions de DH… J’attaquerai qui je veux et, à chaque fois que ce sera nécessaire, je dirai : « pas de problème, je vais être condamné à 100 000 DH, mais par ailleurs, j’ai vendu et j’ai gagné beaucoup plus que ce que j’ai payé… » Donc, attention, ceci est extrêmement délicat. Maintenant, j’aimerais que vous reteniez cela : ces sanctions peuvent être disproportionnées. L’équilibre que nous recherchons aujourd’hui, c’est d’arriver à ce que se dégage un consensus tacite au sein de la société, qui fasse que nous savons dans quel cadre nous agissons, tous autant que nous sommes : les journalistes, les entreprises de presse, l’Etat et le gouvernement.

Nous nous plaçons donc dans le cadre d’une transition démocratique.
Nous nous plaçons dans un cadre de transition, dans lequel tout le monde est plus ou moins en train de se chercher. Je crois que nous y arriverons de plus en plus, et je peux vous dire que sur toute la dernière période, il n’y a eu aucune peine de prison ferme. C’est un système qui est en train d’évoluer. Et dans le même temps, la presse est en train, de plus en plus, de mûrir, et d’arriver, sans atteintes à la liberté d’expression, à une compréhension qui fera que, comme dans d’autres pays, nous nous retrouvons ensemble autour de valeurs globales. Chez les Français, ce sont les valeurs républicaines. Eh bien, appelons-les chez nous les valeurs de la monarchie marocaine. Une monarchie de progrès, une monarchie de modernité, une monarchie démocratique, une monarchie en marche vers le développement.

Justement, dans cette période de transition, est-ce que le rôle de communicateur d’Etat n’est pas quelque chose de délicat ?
Effectivement. Nous sommes entrés dans une ère de transparence, où il est nécessaire de décliner des messages sur des questions complexes, parfois dans des conditions difficiles. On ne peut pas régulièrement et systématiquement jouir de l’unanimité. Si c’était le cas, cela voudrait dire que quelque chose cloche au sein de la société et que les mécanismes de la démocratie ne marchent pas. Je suis le porte-parole d’un gouvernement, je m’exprime au nom de ce gouvernement. Il est normal que je fasse des contents comme des mécontents. Comme il est normal qu’il y ait une majorité et une opposition, des gens qui approuvent et d’autres qui critiquent. C’est cela, la démocratie.

Vous êtes le porte-parole d’un gouvernement assez hétérogène, qui n’a pas toujours joué la même partition…
Je peux vous assurer je n’ai jamais eu de problème à l’intérieur du gouvernement, fort heureusement.

Votre ministère conduit actuellement une réforme de la plus haute importance : celle du secteur de l’audiovisuel. Comment la gérez-vous ?
Nous avons fait l’essentiel au niveau des fondements et des assises. Maintenant, nous devons construire. Nous devons développer l’audiovisuel de l’avenir. Il fallait sortir de l’ère du monopole et rentrer dans celle du pluralisme, sortir d’une organisation vieillotte et mettre en place des structures nouvelles, capables de relever les défis de la modernisation. Nous l’avons fait à travers la création de la Société Nationale de la radio et de la télévision (SNRT). Il fallait ouvrir la voie à de nouveaux opérateurs et créer une instance de régulation, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA). Nous avons adopté une loi, celle de la communication audiovisuelle, qui précise les règles du jeu. Cette loi est aujourd’hui appliquée, et nous avons, dans le même temps, mis en place un certain nombre d’outils d’accompagnement, le dernier en place est l’outil de mesure des taux d’audience.
Nous allons aujourd’hui vers la constitution d’un pôle public fort, rassemblant la SNRT et la SOREAD-2M dans une holding. En parallèle, nous verrons bientôt la naissance de nouvelles chaînes télé et de nouvelles stations de radio.
Nous sommes en train de connaître une révolution, dont les impacts à l’échelle politique, sociale, culturelle et économique, seront extrêmement importants.

Sur quelles valeurs vont s’appuyer ces nouvelles radios et ces nouvelles chaînes ?
Celles de notre système politique et celles de notre monarchie démocratique et sociale. Ce sont des valeurs de démocratie, de pluralisme, de liberté, d’émancipation de la femme, de justice sociale, de progrès… Elles tendent à affirmer l’attachement du Maroc à son identité première, une identité musulmane, arabe, amazighe, africaine, andalouse … Nous sommes un peuple de diversité, un peuple d’ouverture. Mais nos valeurs, c’est également renforcer la volonté profonde de ce pays d’être en phase avec les valeurs universelles, et donc avec le monde, notamment avec l’Occident. Et donc montrer que nous pouvons être un pays trait d’union. Notre système audiovisuel, notre système de communication, notre presse, doivent être des outils qui peuvent véhiculer cette image.

Quel regard portez-vous aujourd’hui, en tant que téléspectateur et auditeur, sur la qualité du paysage audio-visuel ?
En tant que ministre, aussi ! (Rires.)

En tant que ministre, vous aurez un autre langage…
Non. J’ai toujours parlé le langage de la franchise, c’est mon éducation et mon approche politique. Commençons d’abord par enregistrer les aspects positifs : il faut rendre hommage à ceux qui ont travaillé dans ce secteur, notamment à la RTM, pendant des années, dans des conditions difficiles. Il existait également des entraves, notamment d’ordre politique, qui empêchaient à ces chaînes de s’émanciper et de se développer.
Ensuite, il est indéniable que, ces dernières années, un effort colossal de modernisation de mise à niveau a été mené, notamment de la RTM.
On peut considérer qu’un effort a été fait en matière d’encouragement à la production nationale : nous avons connu une progression énorme des productions nationales sur nos chaînes de télévision, aussi bien sur 2M que sur la Une, qu’au niveau de la radio nationale dans ses différentes composantes.
Maintenant reconnaissons que la qualité de cette production est sujette à caution. Il faut faire un effort, trouver les moyens de soutenir cette production, afin qu’elle puisse répondre aux goûts d’une population difficile à satisfaire. La difficulté, vous le savez, est que notre société est une société à plusieurs vitesses. Ce qui plaît à nos élites ne plaît pas forcément aux populations rurales. Dans une même ville, ce qui plaira aux habitants de la Colline, à Casablanca, ne plaira pas forcément aux habitants du quartier de Aïn Chock. Ce n’est pas la même chose, lorsqu’on parle des 16e et 18e arrondissements de Paris. L’écart n’est pas aussi important : en France, il y a un référentiel culturel et de valeurs commun. Mais chez nous, les uns passent leur temps à parler en français entre eux, voire en anglais pour les jeunes générations, et les autres ne parlent que l’arabe dialectal et ne comprennent même pas l’arabe classique.

Alors pourquoi ne pas faire la promotion d’une langue commune, l’arabe marocain ?
Tout à fait. Mais c’est une mutation extrêmement délicate à opérer. Nous devons progressivement faire en sorte d’aller dans le sens d’une production nationale soutenue.  Et à travers cette production de plus en plus importante, petit à petit, nous allons dégager de la qualité. Nous ne pouvons pas dire aujourd’hui : attention, nous n’allons produire que ce qui est au top. Parce que si on ne veut produire que ce qui est au top, on n’aura rien à mettre dans nos écrans. Dans le cadre de cette production, nous devons trouver un langage qui sera un véhicule commun. Dans le documentaire, dans la fiction, dans l’émission de variété… Aujourd’hui, nous avons des cahiers de charge qui imposent à nos chaînes de télévision un certain nombre de critères à respecter en matière de production nationale, en matière de documentaire, en matière de politique de l’information, en matière de politique sportive. Nous avons ainsi demandé aux télés de consacrer 30 % de leur production au privé : nous externalisons une partie de la production et, de ce fait, nous créons une industrie audiovisuelle. Des réformes comme celles-ci ne se font pas comme ça, du jour au lendemain. Je vous donne rendez-vous, ne serait-ce qu’à la fin du mandat de ce gouvernement, courant 2007. Vous verrez, dans un an, beaucoup de choses auront évolué dans notre paysage audiovisuel.

Projetons-nous dans l’avenir et poussons la réflexion un peu plus loin : si toutes ces réformes réussissent, le ministère de la Communication n’aura plus de raison d’exister.

On aura la HACA, un Conseil déontologique pour la presse, etc. Donc on aura besoin d’un porte-parole, mais pas nécessairement d’un ministre de la Communication.
Dans le sens ministère de l’Information, avec cette vision étriquée de contrôle, cette structure n’a absolument plus lieu d’être. Mais un ministère de la Communication, qui s’occupe du développement du secteur dans sa globalité, qui entretienne l’image du Maroc à l’international, qui renforce les mécanismes de communication permettant aux composantes de notre peuple de se comprendre et de dépasser cette société à plusieurs vitesses… Je ne sais pas s’il serait possible de faire cela sans un ministère de la Communication.

 

Q U E S T I O N N A I R E  D E  P R O U S T

Le principal trait de mon caractère
L’exigence

La qualité que je désire chez un homme
La probité

La qualité que je désire chez une femme
L’élégance morale et physique

Ce que j’apprécie le plus chez mes amis
La fidélité

Mon principal défaut
L’irritabilité

Mon occupation préférée
Le cinéma

Mon rêve de bonheur
Le soleil, la mer et vivre dans l’amour, la quiétude et la joie

Quel serait mon plus grand malheur
La mort d’un proche

Ce que je voudrais être
Musicien

Mes auteurs favoris en prose
Emile Zola, Amine Maalouf, Najib Mahfoud

Mes poètes préférés
Mahmoud Darwich, Pablo Neruda, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud

Mes héros dans la fiction Robert De Niro, Robert Redford, Paul Newman, Gérard Depardieu et … Larbi Doghmi

Mes héroïnes favorites dans la fiction Jessica Lange, Julia Roberts, Catherine
Deneuve, Fanny Ardant

Mes compositeurs préférés
Mohamed Abdelawahab, Riad Sambati, Baligh Hamdi, Kadem Saher, Mozart, Verdi

Mes peintres favoris
Picasso, Goya et beaucoup de Marocains : Rabia, Glaoui, Bellamine, Hassani, Laghrib, Belkahia, Kacimi…..

Mes héros dans la vie réelle
Mon père et beaucoup de grands libérateurs

Ce que je déteste par-dessus tout
La trahison, l’esprit négatif

Comment j’aimerais mourir :
Dans mon sommeil

Etat présent de mon esprit :
Positif

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence
La bêtise, la gaucherie

Ma devise
L’engagement, l’optimisme et l’amour de la patrie

 

En aparté

Quelles habitudes vos fonctions vous ont fait perdre, ou gagner ?
À titre strictement personnel, je n’ai pas vraiment gagné de nouvelles habitudes. Cela m’en a plutôt fait perdre, surtout celle de voir plus souvent mes amis. Je n’ai pas malheureusement plus le temps de le faire. Je le regrette amèrement et j’en profite pour leur demander de m’accorder leur compréhension. J’ai aussi perdu l’habitude de m’adonner à quelques activités ludiques parallèles, notamment la pétanque ou jouer aux cartes avec des amis.
J’aimerais bien également avoir le temps de lire tout ce que j’ai envie de lire, de voyager au Maroc comme à l’étranger.
Quant à le faire en mission officielle, on ne peut pas vraiment dire qu’on fait du tourisme.

Votre journée type commence à quelle heure ?
Je commence à 7 h 30. Et à partir de là, c’est non stop. Mais j’ai un grand défaut : je ne maîtrise pas beaucoup mon temps. Résultat : je suis en perpétuel décalage.
 
Vous êtes l’un des ministres dont on admire le plus la prestance et vous semblez accorder une très grande importance à vos choix vestimentaires. Pouvez-vous nous décrire votre style ?
Vous savez, ce sont des habitudes que j’ai depuis que j’étais étudiant… donc avec nettement moins de moyens. Remarquez, je n’en ai pas beaucoup non plus aujourd’hui. Cela peut vous étonner, mais j’habite encore dans un appartement de location. J’ai toujours été très peu intéressé par la consolidation de mes assises financières. Pour autant, je ne me suis jamais privé. Je suis plutôt épicurien et bon vivant. Et parmi les aspects sur lesquels je ne rechigne pas, c’est l’aspect vestimentaire. J’achète ce qui me plaît, et j’essaie d’être régulièrement dans des tenues que je considère comme étant présentables.

 

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