BIPOLARITÉ : « La médecine a fait énormément de progrès et aujourd’hui, les traitements disponibles sont excellents et très efficace »

by La Rédaction

Un mal qui ronge, un désespoir cruel, des souffrances inexpliquées, des angoisses torturantes, puis, coup de projecteurs, puissance, force, démesure, invincibilité… Vaciller entre deux extrêmes, est le commun des personnes atteintes de troubles bipolaires, qui ne savent littéralement pas où donner de la tête, tellement leurs cerveaux leur jouent de mauvais tours. Pourtant, prise en charge sérieusement, cette pathologie psychiatrique, peut s’amenuiser jusqu’à permettre de vivre et d’apprécier la réalité au lieu de se perdre dans sa réalité !  

Docteur Fatine Fifani, Psychiatre, Psychothérapeute a accepté de nous donner les clés pour mieux comprendre ce trouble qui touche 1,5 à 2% de la population marocaine. Par Abderahmane Khomsi 

   

En quelques mots, qu’est-ce que la bipolarité ?

Dans le langage médical, on parle de trouble bipolaire, qui est pour faire simple, un trouble de l’humeur. 

L’humeur est cette disposition affective de base, qui est souple et réactive à l’environnement dans lequel nous vivons, elle va réagir naturellement selon qu’on est bien ou pas bien. Dans le cas d’un trouble bipolaire, cette réaction est bloquée dans un pôle de tristesse, d’excitation ou d’humeur élevée, elle n’est plus réactive à ce qui se passe, on parle à ce moment d’humeur pathologique.

Est-ce qu’il existe une ou plusieurs formes de troubles ?

Sa forme la plus courante, et probabelement, la plus dangereuse, correspond à un trouble se caractérisant par des phases maniaques (différentes du sens usité en lien avec une tendance exagérée pour la propreté, l’ordre …), pendant lesquelles le patient passe par des épisodes d’excitation et/ou d’euphorie qui peuvent durer quelques jours à quelques semaines.  

En alternance de ces phases, le patient peut présenter des épisodes dépressifs, qui vont altérer son humeur, mais également se manifester sous formes d’autres symptômes l’empêchant de vivre normalement. 

Comment agit-on durant ces phases maniques ? 

En général, nous remarquons chez les personnes qui traversent un épisode maniaque, une tendance à l’excès dans tout : irritabilité, accélération de la pensée et du flux verbale, réduction impressionnante de la durée de sommeil, énergie impressionnante. La personne ne réagira pas aux événement négatives, elle est dans un ailleurs, haut perchée, et elle y restera bloquée, avec souvent des idées de grandeur, d’estime de soi hors normes, un surinvestissement dans les activités sociales voire, des actes dommageables dont elle ne mesure pas les conséquences, tels que la prise excessive de drogues, d’alcool ou d’autres substances, des rapports sexuels effrénés et non protégées … 

Qu’en est-il des épisodes dépressifs ?

C’est un changement total de perspective, la personne traversera un mal-être qui se manifestera par des troubles de sommeil (insomnie ou hypersomnie), un ralentissement psychomoteur, des fixations mono idéiques péjoratives, des troubles de l’appétit, de la sexualité… au total 9 symptômes. 

C’est donc un trouble assez extrême ?

Alors, il y a un entre deux, cela s’appelle l’hypomanie, un degré moindre, pendant une plus courte période et qui se manifeste plus sous forme d’irritabilité que d’excès, avec un degré d’intensité moindre et surtout, moins d’actions dommageables. 

Parler d’épisodes nous renvoie à une notion de temps, est ce qu’il y a un lien entre la durée d’un épisode et la forme du trouble ? 

Les critères de durée sont très important, il ne s’agit pas de se dire que je fais une déprime, que je me sens pas bien… il y a des critères pour pouvoir poser un diagnostic d’un trouble caractérisé. Pour la manie, ou les épisodes maniaques, c’est 7 jours d’évolution de l’état, et pendant cette durée, les symptômes sont bien présents. Pour les épisodes dépressifs en lien avec le trouble bipolaire, il faut que la durée soit de 15 jours, et que pendant cette période, au moins 5 des 9 critères soient présents tous les jours. C’est ce qui nous permet de poser un diagnostic d’épisode dépressif caractérisé. Finalement, pour ce qui est de l’hypomanie,
la durée va être de 4 jours. 

Critères de durée, symptômes particuliers, qu’est-ce qui vous permet au final de diagnostiquer la forme et donc la gravité du trouble ? 

La déclaration d’un épisode maniaque majeur, qu’on appellera le Grand épisode, va nous orienter automatiquement vers la forme, il s’agit du trouble bipolaire Type 1 qui nécessitera une hospitalisation et une observation clinique, car correspondant à altération significative du comportement que le patient ne peut gérer tout seul et qui peut lui être dommageable.

La récurrence d’épisodes dépressifs accompagnés d’un ou plusieurs épisodes hypomaniaques, mais jamais avec un grand épisode maniaque, correspondra à un trouble bipolaire Type 2. Le diagnostic permettra d’établir un protocole médical et un suivi psychiatrique régulier. 

Il existe une troisième classification, il s’agit des troubles cyclothymiques présents pendant au moins deux ans, et intervenant en général de manière récurrentes, deux mois d’affilée, et pendant lesquels le patient présentera des symptômes dépressifs qui ne remplissent ni les critères d’un épisode dépressif (15 jours et au moins 5 des 9 symptômes) ni ceux d’un épisode maniaque. 

Est-ce qu’on peut s’auto-diagnostiquer ? 

Absolument pas, il s’agit d’une maladie sérieuse et qui plus est, chronique, c’est le rôle d’un médecin formé dans le domaine.

Une petite recherche sur internet nous permet de tomber sur des tests pour diagnostiquer la bipolarité, que pouvez-vous nous en dire ? 

Les troubles bipolaires, ont des symptômes reconnues à l’échelle mondiale, donc le même diagnostic peut être effectué partout. Or ce qu’il faut savoir, c’est que, ces tests ou ces questionnaires qui sont disponibles sur internet, ne sont pas utilisés par le corps médical, pour le diagnostic, mais pour suivre l’évolution des symptômes. 

Pour faire simple, ces check lists sont composées d’un certain nombre de questions qui sont cotées, et dont les scores et les pondérations ne peuvent être lues et surtout comprises que par un médecin qui déterminera par exemple si oui ou non une personne a eu pendant sa vie une forme d’hypomanie, ou de suivre l’évolution des symptômes pendant le traitement. 

L’observation clinique est plus parlante, et les consultations et suivis psychiatriques restent les moyens les plus sûres pour établir un diagnostic caractérisé et pouvoir par la suite prescrire le traitement adapté.

En parlant de traitement, ou en est la science aujourd’hui ? 

La médecine a fait énormément de progrès et aujourd’hui, les traitements disponibles sont excellents et très efficace. 

Comment traite-t-on donc les troubles bipolaires ? 

La perturbation se trouve au niveau des neurotransmetteurs au niveau du cerveau, les traitements permettent justement d’agir sur ces transmetteurs, pour assurer leur bon fonctionnement. Il s’agit principalement de régulateurs d’humeur qui permettent de garder une humeur qui n’est ni dans l’excès ni en défaut. 

Plusieurs familles de traitements thérapeutiques sont prescrits selon l’évolution du trouble chez un patient, il s’agit des sels de lithium, des antiépileptiques et des antipsychotiques atypiques, ils ont principalement un rôle de régulateur de la stabilité de l’humeur. 

Est ce qu’on peut parler de guérison ? 

Malheureusement, dans 90% des cas, nous sommes face à une pathologie chronique, une fois que c’est déclenché, le patient n’est pas à l’abris d’une rechute. 

Qu’est ce qui peut provoquer justement une rechute ? 

Tout ce qui est susceptible de vulnérabiliser le cerveau, les aléas de la vie par exemple, principalement des facteurs de stress sévères, comme un deuil, une perte, une rupture … 

D’autres facteurs peuvent mettre en péril l’équilibre qui a été créé, comme la consommation abusive d’alcool, de drogues ou d’autres types de substances psychoactives. 

En général un patient qui prend son traitement, qui fait un suivi régulier, qui observe une hygiène de vie correcte et qui apprend à détecter les signes de rechutes (réduction du temps de sommeil, une certaine irritabilité …) qu’il apprends à reconnaître, risque moins de rechuter.

Le suivi permet également au médecin de réagir rapidement et faire les ajustements de dose nécessaires, pour éviter que le patient ne tombe dans un épisode… La psychoéducation est très importante et pas que les médicaments.

Est-ce qu’il y a des patients plus difficiles à gérer ? 

En général cela concerne les personnes qui sont atteintes de manie, qui est un pic, c’est pour ça qu’il y a des hospitalisations qui ne durent pas forcément longtemps.

Et des réticences ? 

Il y a bien sûr toujours des réticences, de facteurs sociologiques, en général des problèmes ancrées dans les sociétés, dont la sorcellerie … des personnes qui croient aux vertus des fkihs, mais qui réalisent in fine, que ces personnes ne les aident pas forcement. Dans ce cas, ces personnes ont besoin qu’on les prenne en main, qu’on leur explique ce qui se passe, et en général, même dans les couches sociales les plus défavorisés, ou chez les personnes les moins intellectuellement aptes à comprendre un trouble psychologique, quand on prend le temps d’expliquer, ils finissent par comprendre ! 

Parce que effectivement, c’est une maladie qui est mine de rien courante… 

Au Maroc, comme ailleurs, en moyenne 1,5% à 2% de la population pour le Type 1 et Type 2, si on élargit le spectre aux autres formes, on peut aller jusqu’à 5%.

Est-ce que ces troubles touchent une population particulière ?

En général, la bipolarité est déclarée entre 18 et 24 ans, et quelque part, il existe une prédisposition génétique dans ce genre de trouble, une vulnérabilité plus importante chez cette tranche de la population. Quand c’est déclaré plus tard, au-delà de la soixantaine, on va chercher la cause dans un problème organique. 

Parler de prévention est donc …

Ce n’est pas un rhume, ni une maladie qu’on attrape, donc on ne peut pas parler de prévention primaire, en revanche, dès que le diagnostic est posé, la prévention prend tout son sens. 

Cela dit, quand une personne a des antécédents familiaux, le plus précoce la détection est faite, meilleure sera la réaction. 

Un conseil pour nos lecteurs ? 

Les troubles psychiatriques sont beaucoup mieux acceptées maintenant, de plus en plus de personnes se présentent spontanément, et n’ont pas de problèmes à aller voir un psychiatre et à prendre des médicaments quand cela s’avère nécessaire.

Il faut en prendre conscience et surtout d’éviter les comparaison par rapport aux pathologies psychiatriques, alors qu’il y a beaucoup plus de problème de santé psychiatriques et psychologiques qu’on arrive à guérir en comparaison avec d’autres affections médicales générales comme les troubles rhumatismaux, l’asthme, le diabète, les problèmes thyroïdiens, … qui sont chroniques ! 

Pour éviter de penser au côté chronique de la chose, il faut penser au rapport bénéfices risques pour le patient, ce que cela lui rapporte in fine d’être sous traitement et d’avoir une vie ce qu’il y a de plus épanouissant, et c’est ça la norme, la normalité fonctionnelle, à partir du moment où on fonctionne tel qu’on le souhaiterait, avec une vie personnelle et professionnelle épanouies, au final, le reste importe peu.  

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