Pierre François Bernet: «Je ne sais toujours pas pourquoi les salles sont toujours fermées»

by La Rédaction

Depuis Mars dernier, les cinémas sont fermés au Maroc. Incompréhension total des professionnels du cinéma qui se sentent oubliés. Face à eux, un silence peu rassurant des autorités. Rencontre avec Pierre François Bernet,  Fondateur et CEO de CINE ATLAS HOLDING.

   

1. Comment se fait-il que les salles de cinéma soient encore fermées aujourd’hui ?

Les salles sont fermées car les autorités y voient un lieu de contamination. Pourtant, en Espagne puis en Allemagne, deux études lancées et supervisées par les autorités locales, des concerts tests, ont donné lieu à des résultats révélant qu’il n’y a eu aucune ne contamination sur ces deux spectacles tests. Au 10 février 2020, nous en sommes à 334 jours consécutifs de fermeture des cinémas, ce qui fait du Maroc le pays au Monde qui a le plus imposé  de restrictions à ses exploitants, car dans les autres pays le maximum observé en de 107 jours consécutifs de fermeture durant la pandémie. Pourtant le Maroc a très peu d’écrans actifs (moins de 80), et par exemple l’Inde, qui avait déjà autorisé l’exploitation avec un fauteuil sur deux, vient d’autoriser les 13 000 écrans de cinéma du pays  à être exploités sans aucune restriction. Donc pour répondre à la question, je ne sais toujours pas pourquoi les salles sont toujours fermées, mais j’obéis aux autorités, c’est le pacte que doit accepter tout citoyen.

2. Quelles sont les plus grandes difficultés aujourd’hui ? Combien avez vu perdu ?

Les plus grandes difficultés sont toutes la conséquence de l’une d’elle : l’absence totale de visibilité sur la réouverture. Mais la plus urgente est sans conteste la prise en charge des employés du secteur, qui n’ont aucun soutien CNSS depuis le 1er juillet. Le CVE a acté cette prise en charge le 6 janvier 2021, mais la plateforme CNSS est toujours non opérationnelle, et nos employés en sont donc à 7 mois et 10 jours sans ressource ni protection sociale. Pourtant, tous ont cotisé régulièrement avant la pandémie. L’absence de visibilité c’est encore l’impossibilité pour les exploitants de se projeter. La seule certitude est le coût mensuel d’un cinéma fermé, coût dégrevé chaque mois, et cette fois avec certitude (REDAL, loyers, échéances de crédit, personnel essentiel non mis au chômage partiel, taxes, assurances…). 

L’absence de visibilité complexifie le problème, car l’essentiel des recettes salles restent concentrées sur les blockbusters, et les studios attendant que suffisamment de salles au monde soient ouvertes pour accueillir leurs films ayant des sorties mondiales. Ces gros films sont désormais tous décalés au 2nd semestre 2021 (James Bond, Fast & Furious…). Si nous rouvrons demain, nous nous retrouverons avec 100% de nos charges mais pas de films prompts à fédérer le public, et cela accélèrerait notre chute. C’est un serpent qui se mord la queue. La vaccination semble désormais la seule issue. La difficulté c’est encore de voir que certains paient très cher la facture COVID (comme les cinémas et leurs employés) quand d’autres se sont incroyablement enrichis (GAFAM, labos, Netflix, chaînes de supermarchés…), profitant d’une absence artificielle de concurrence pour les uns, et d’une demande gigantesque de produits pharmaceutiques pour les autres. L’effort « collectif » promu par tous les gouvernements au début de la pandémie n’est pas du tout « collectif ».

3. Est-ce qu’il y a une aide concrète ?

Les cinémas ont reçu un soutien « frais fixes » versée par le CCM en novembre couvrant une partie de leurs charges fixes sur la période allant du 15 mars au 30 juin. Ils ont également eu un soutien « relance » destiné à réamorcer la machine, ce soutien représentant 1 mois de billetterie. Ce soutien a été versé à 50 % en novembre également. Je ne sais pas combien ont perdu les autres cinémas mais pour CINEATLAS on frôle  les 2,5 millions de Dhs depuis le début de la pandémie le soutien de l’état reçu à ce jour est de 600 000 Dhs. On ferme pour la sécurité de tous, mais on le paie beaucoup plus cher que d’autres, c’est encore cela qui nous indigne.

4. Allez-vous pouvoir réouvrir ? L’avenir des petites salles selon vous?

Oui tôt ou tard l’on rouvrira. Le cinéma a eu sa 1ère projection publique il y a 125 ans. Depuis il a survécu à :

– la 1ère guerre mondiale

– la grippe espagnole

– la 2nde guerre mondiale

– la grippe de Hong Kong

– l’avènement de la télévision, puis de la VHS, puis du DVD, puis du streaming

Et les deux années record de box office depuis que le cinéma existe sont consécutivement 2018 puis 2019. Fonc oui, définitivement le cinéma survivra à la COVID.Les petites salles et les grosses souffrent à priori autant, les charges étant proportionnelles à la taille. Mais les petites commencent à mourrir, faute de réserves.

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