Il y a des silences qui résonnent plus fort que les discours. Celui de Juliette Binoche, lors de l’ouverture du Festival de Cannes 2025, appartient à cette catégorie rare où l’élégance du retrait devient un acte politique en soi. Présidente du jury de cette 78e édition, l’actrice française a choisi, face à la guerre à Gaza, de ne pas signer la tribune parue dans Libération, dénonçant le silence du monde culturel. Une absence remarquée, scrutée, questionnée. Et pourtant, derrière cette retenue, un message plus subtil semble avoir été délivré.
C’est vêtue de blanc, symbole de paix mais aussi de deuil, que Binoche a fait son entrée sur la scène cannoise. Avant même de parler, elle imposait une présence, solennelle, presque méditative. Interrogée quelques heures plus tôt sur son absence de signature, elle éludait : « Vous comprendrez peut-être pourquoi plus tard, je ne peux pas vous répondre maintenant. » Une phrase sibylline qui, plutôt que de clore le débat, l’a attisé. Car lorsque le silence vient d’une voix aussi respectée que la sienne, il devient un objet de débat.
Mais ce serait mal connaître Juliette Binoche que de l’accuser de lâcheté. Son discours d’ouverture, prononcé avec une gravité rare, a témoigné d’un engagement profond, humaniste, et émotionnel. Elle a dénoncé « la guerre, la misère, le dérèglement climatique, la misogynie primaire » – autant de fléaux auxquels, selon elle, les artistes doivent répondre avec courage et implication. En rendant hommage à la photojournaliste palestinienne Fatma Hassouna, morte dans les bombardements israéliens alors qu’elle venait d’apprendre la sélection de son film à Cannes, Binoche a soudain donné un nom, une histoire, un visage au drame. Un hommage sobre mais bouleversant, qui rappelait que l’art, même dans la tragédie, persiste comme trace vivante de nos existences.
Ce choix de ne pas signer, tout en parlant avec force sur scène, questionne les codes de l’engagement artistique. À l’heure où la moindre prise de position est immédiatement relayée, comment peser ses mots sans les voir déformés ? Comment exister politiquement sans céder à la tyrannie de l’instant ? La démarche de Binoche semble celle d’une femme consciente du pouvoir de la nuance, là où l’époque exige des déclarations tranchées.
Dans un Festival de Cannes de plus en plus traversé par les conflits du monde, cette ouverture sonne comme une tentative de faire du cinéma un espace de dialogue, plutôt que de division. Le Festival n’a jamais été apolitique, mais il semble cette année encore plus en prise avec le réel. Entre discours vibrants, silences pesants et hommages appuyés, la Croisette a revêtu les habits du deuil, de la mémoire et de la résistance.