Erramoudi : le précurseur du fauvisme mécanique

by Abdelhak Najib

D’abord peintre en bâtiment connu pour sa légendaire phase « Astral », Erramoudi revient sous les feux des projecteurs avec une rétrospective à la galerie 3, 14. Rencontre avec le précurseur du fauvisme mécanique.

Où avez-vous effectué vos études ?

Je suis lauréat de l’école des Beaux-Arts de Skipzeritra, en Croatie orientale, depuis 1972.

Vous êtes connu pour la récurrence dans votre œuvre de la figure du losange.

Pourquoi le losange ?

Parce que ma première voiture était une Renault. Et comme je suis le peintre de ma psyché, je suis trahi par mon propre subconscient.

Aujourd’hui, vous êtes un peintre consacré. Pourtant, vous avez eu une longue traversée du désert. Pouvez-vous nous en parler ?

Oui. C’était lors de ma participation au Marathon des sables de 1972 où, alors que tous les participants avaient fini la course, moi j’ai continué tout droit. C’était une divagation à la recherche de l’exotisme sud/sud. C’est ainsi que sur la crête d’une dune, je suis tombé sur un lion écrasé par une Jeep. Depuis, je ne peins qu’avec la queue de ce lion.

D’où l’appellation « fauvisme mécanique » donnée à votre mouvement ?

Exactement.

Et quelles sont vos autres périodes ?

Après le fauvisme mécanique, j’ai eu ma période rubik’s-cubisme, puis ma période de dadaïsme byzantin. C’est une forme de technique mixte entre l’acrylique et le tadelakt.

Et aujourd’hui ?

En ce moment, je suis dans ma période Rose Bonbon parce que mes dernières analyses médicales ont révélé que j’avais du diabète. C’est de l’art pictural comestible. Ça nourrit autant le client que le peintre.

C’est pour cela que beaucoup des œuvres exposées durant cette rétrospective ont été croquées ?

Que voulez-vous ? Il y a eu une visite scolaire ce matin. Les mômes, ils ont mangé leur goûter dans la galerie.

Comment réussissez-vous à obtenir une palette si parti-culière et si exceptionnelle ?

C’est simple. Quand je peins, je prend du Lexomil. C’est très douloureux comme acte de création. Je pile le Lexomil en poudre, j’en ingère une partie et je mélange le reste à l’acrylique auquel j’ajoute un peu d’asphalte. C’est ce qui donne cette fulgurance à mon œuvre.

Vos tableaux se sont volatilisés lors de cette rétros-pective ?

Oui. C’est parce que je propose une technique de double re-charge : un tableau acheté = un tableau offert. De plus, je propose un abonnement de deux ans grâce auquel vous pouvez recevoir, moyennant rétribution, un tableau chaque mois. Et la pose est offerte.

Vos tableaux sont à des prix très élevés ?

Oui, parce que ce que je fais, ce n’est pas de l’art contemporain mais de l’art comptant pour deux, voire de l’art comptant pour tous. C’est ça la démocratie. Il faut démocratiser l’art ! Moi, une fois, je me suis parlé à moi-même et franchement, je me suis trouvé balèze parce qu’il n’est pas facile que je me donne la parole à moi-même, et encore plus difficile que je reçoive une réponse. Le tout, en ma présence.

Financièrement,vous semblez vous en sortir pas mal. Vous roulez en Porsche Cayenne, vous portez une Rolex et vous faites l’objet de la couverture de VH Magazine de ce mois-ci.

La peinture, ça paie bien ?

Eh oui, Al hamdoulillah, ça va. Je ne me plains pas. C’est juste les impôts qui m’emmerdent un petit peu. Sinon, tout va bien. Quand mon comptable me donne la TVA ou l’IGR, je paie le fisc avec des peintures, des croquis, des autographes, de petites statuettes… Je donne, en général, une œuvre taillée sur mesure du montant à payer de la facture. Voilà.

Quelle trace pensez-vous laisser à la postérité dans l’art contemporain marocain ?

Une trace dans tous les salons de villas. Je travaille avec les promoteurs immobiliers et mes œuvres figurent dans les maisons témoins des résidences privées. Je suis un peintre témoin et mes œuvres témoignent pour la postérité.

Comment se fait-il que vous établissiez vous-même votre propre côte ? Normalement, c’est à la mort de l’artiste qu’on l’établit ?

Parce que je suis aussi critique d’art. Je fais tout moi-même. J’ai un double béret. C’est ainsi que je suis aussi mon propre manager et que je suis conseiller auprès des organismes privés et publics, ainsi que des banques, pour leur recommander d’investir et de mettre tout l’argent dans mes œuvres.

Certains de vos détracteurs trouvent que vous ne faites plus dans l’art mais dans les objets de grande consommation ? 

Et pourquoi pas ? Moi, Monsieur, je suis fier de décliner mon art sur tous supports.

C’est ainsi que je propose mes œuvres en goodies, en porte-clés, en stylos, en casquettes, en parasols, en tee-shirts, en écharpes pour les manifestations, en foulards, en gourmettes, en chaussettes… voilà. J’ai développé un axe très large. Bientôt je vais sortir une marque de voiture. Même mon slip est signé. Vous voulez voir ?

Non, c’est bon merci.

Vous portez du combien ?

Pourquoi ?

Parce que j’ai un slip cubiste qui vous irait très bien. Vous taillez combien ?

Non merci, je préfère le jersey. Revenons à nos questions : pouvez-vous nous en dire plus sur la rétrospective qui a lieu en ce moment ?

Cette rétrospective est très spéciale dans le sens qu’elle consiste à ramasser toutes les œuvres vendues auprès des particuliers pour opérer une deuxième vente. C’est ce qui s’appelle le « second hand ». C’est pour faire circuler les œuvres et les faire vivre, les faire respirer. Mon œuvre, c’est une peinture buissonnière. Elle doit se libérer, elle doit voyager.

Et qui va bénéficier du produit des reventes de cette rétrospective ?

Quelle question ? C’est le peintre voyons ! C’est moi !

Que conseilleriez vous à un jeune qui voudrait se lancer dans l’art contemporain ?

De changer de métier et de nous laisser tranquille. Le milieu artistique est un peu saturé en ce moment. Qu’il aille faire de l’infographie.

Pourquoi ne donnez-vous jamais de titre à vos œuvres ?

Parce qu’un titre, c’est réducteur par rapport à l’immensité de ce que j’évoque dedans. Un titre, c’est une adresse et une adresse, c’est une prison. Moi la prison, j’en ai ma claque.

Merci pour cette interview.

Réfléchissez pour le slip. Si vous changez d’avis, voici ma carte.

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