Fouzia Taouzari : « Tout harcèlement sexuel a des conséquences physiques et psychiques »

by La Rédaction

Psychologue clinicienne et psychanalyste à Nantes a des conséquences physiques et psychiques » Psychologue clinicienne et psychanalyste à Nantes

Le harcèlement sexuel peut-il toucher tout le monde ?

Pourquoi elle ? Pourquoi lui ? S’il est difficile de répondre de prime abord à cette question, on peut toutefois affirmer, que les femmes et les homosexuels sont les plus touchés. Les harceleurs sont majoritairement des hommes. Le harcèlement sexuel fait partie des violences faites aux femmes et aux minorités. Personne n’est à l’abri du harcèlement sexuel que ce soit au sein du foyer, du milieu professionnel ou dans la rue. Si les deux premières formes de harcèlements sont plus insidieuses, le harcèlement sexuel de rue est à ciel ouvert. Les femmes au Maroc ont toujours été exposées à cette forme de harcèlement sexuel aux yeux de tous. C’est ancré dans les mentalités. C’est ce qui m’a le plus marqué chaque été au Maroc. Je ne suis jamais sortie seule me balader. J’ai toujours été mise en garde quant au risque d’être importunée dans la rue si je l’arpentais. Chaque sortie entre femmes était accompagnée d’une mise en garde strict et particulièrement sur le choix des tenues vestimentaires. Très tôt, j’ai pris conscience que l’extérieur pour une femme était synonyme de danger. J’ai été frappée que ces mises en gardes fussent justifiées : sifflement, rapprochement, forçage, injures…chaque été j’en ai été victime et j’ai vu ces scènes se dérouler sous mes yeux plusieurs fois par jour sous le regard des passants. L’implacable répétition lors des étés passés au Maroc. Même accompagnée par un cousin, rien n’arrête ces comportements. Je me souviens de cet été 2017, bien avant le mouvement #METOO, où des évènements ont soulevé l’indignation au Maroc et ont retentit au-delà des frontières. En août 2017, une vidéo a circulé dans les réseaux sociaux où on y voit une jeune femme harcelée par une horde d’hommes à Tanger. Quelques jours après, une jeune femme est agressée dans un bus à Casablanca par un groupe de jeunes hommes sans que personne ne lui vienne en aide. La scène abjecte a été filmé et relayée dans les réseaux sociaux soulevant l’indignation partout. Un an après, l’affaire Khadija a défrayé la chronique. Cette jeune femme de 17 ans a été enlevée, séquestrée et violée par plusieurs hommes. Elle a brisé le silence en portant plainte et en faisant connaître son histoire. Le #masaktach a vu le jour pour dénoncer le harcèlement sexuel afin d’inciter les femmes à parler et briser la loi du silence. En 2018, une loi a été (enfin) votée au Maroc pour lutter contre toutes formes de harcèlement et violences faites aux femmes, mais au-delà, c’est toute une mentalité qu’il s’agit de changer!

En France, la dénonciation du harcèlement sexuel de rue s’affiche sur les murs. N’est-ce pas une manière de signifier à quoi se cogne la parole des femmes: au mur de la parole. Il s’agit ainsi de faire raisonner la parole des femmes hors-les-murs : par les mots rendre visible ses maux invisibles. «Quand je sors je veux être libre pas courageuse» s’affichent sur les murs de différentes villes de France par les colleuses féministes. Le harcèlement sexuel touche les femmes dans le monde entier. 

Comment détecter qu’il y a harcèlement, le prouver ?

C’est toute la difficulté : «détecter » et «prouver» un harcèlement sexuel qui souvent se déroule à huis clos. Lorsqu’il y a plainte : « c’est parole contre parole ». C’est un processus long qui peut décourager ou faire peur. Dans le milieu professionnel, la peur de perdre son travail conduit, aussi bien les victimes que les témoins, à se taire. Mais pas seulement. La victime se trouve souvent seule à devoir porter la responsabilité de ce qu’elle a vécu : la culpabilité peut se mélanger à la honte faute et preuve concrète on se tait et on se met en arrêt de travail. Les arrêts de travail qui se multiplient sont un indicateur qu’il y a souffrance au travail. Sensibiliser les salariés aux harcèlements sexuels peut permettre aux victimes de parler et de décoder ce qu’elles traversent. Dans la rue, cela suppose la présence de la police pour protéger les femmes et dissuader les harceleurs.

Pour le prouver faut-il encore le réprouver. Même si en matière de droits des femmes, le Maroc progresse, l’omerta pèse lourdement sur les femmes et les homosexuels. Tout écart de conduite légitime inconsciemment le harcèlement sexuel. Comment le prouver quand la société réprouve votre orientation sexuelle, vos sorties tardives ou la liaison avec un homme hors mariage ? La hchouma et le poids de l’honneur, sont des mécanismes puissants qui, font taire les victimes de peur de détruire la cellule familiale. Le #masaktach (« je ne me tais pas ») – prononcé au féminin – tente de dynamiter ce mur de la honte et de la bienséance. C’est une réponse à l’injonction: Tais-toi ! Lorsqu’une femme crie son indignation, l’Autre (de de la famille, de la religion, de la tradition, de la société, etc.) répond bien souvent : « sekti, Hchouma. Sobri ». Des voix de femmes marocaines se lèvent pour dénoncer cette éducation traditionnelle qui exige bien souvent, aux filles et aux femmes, de se taire lorsqu’elles se révoltent, se rebellent ou se plaignent d’une injustice. Qui n’a pas connu cette fameuse litanie des mères – sobri benti, sobri – qui veut dire « prend sûr toi, sois patiente » traduction : « subi et tais-toi !». Cette éducation traditionnelle est d’une violence inouïe qui contribue à légitimer les violences faites aux femmes comme si cela devait faire partie de leur condition de femmes. Le sacrifice des femmes sur l’autel de la tradition a la peau dure. De plus en plus de femmes, ne veulent plus se taire, ne veulent plus sbor. La société marocaine est mise à l’épreuve de ces femmes tiraillées entre modernité et tradition qui aspirent à plus d’égalité, de respect et de dignité. A la société d’être à la hauteur de cette libération de la parole des femmes qui émerge. 

Les victimes au Maroc (ou ailleurs) ne portent souvent pas plainte. Pourquoi ? 

En France, plus de trois quarts des femmes victimes présumées de violences sexuelles ne portent pas plaintes. C’est colossal. Vous pouvez imaginer le pourcentage au Maroc. Vertigineux. Il existe plusieurs facteurs qui empêchent de porter plainte contre un agresseur. Porter plainte signifie est une démarche qui nécessite de parler afin de dénoncer ce qui a été vécue et revenir sur ce qui fait traumatisme. C’est une double violence : celui de l’avoir vécu puis de devoir revenir sur les faits. Bien souvent elles veulent oublier et passer à autre chose. Mais le corps n’oublie pas. La peur du regard des autres, le jugement qui sera porté sur elle contribue à faire taire. La honte, la culpabilité et la peur sont des mécanismes puissants qui tétanisent la victime. Le manque de formation des policiers peut conduire les victimes à se détourner de la justice. Si certaines parviennent à se saisir de la justice, d’autres vont mettre des années avant de pousser la porte d’un commissariat. Il faut du temps, voire des années pour qu’une parole puisse émerger et se dire. L’accueil de la plainte, la minimisation des faits, décourage les victimes à parler. Pour parler, il faut se sentir entendue et en sécurité. Le #metoo et le #masaktach ont révélé combien de femmes se sont tues. Au Maroc, l’invitation a témoigner anonymement via le #masaktach, a permis à de très nombreuses femmes de partager leur expérience douloureuse tenue secrète. Ce mouvement mondial de libération de la parole est un tournant dans le mouvement du féminisme. On peut se poser la question de savoir si la parole des femmes se libère ou bien si elle se fait entendre que les dits-hommes le veuillent ou non ? Grâce à l’outil numérique des réseaux sociaux, la parole des femmes s’écrit et se dit en «direct live », elle est propulsé sur le devant de la scène, dans une temporalité accélérée propre à la toile du net: elle se propage à vitesse grand V ! Parions que cela amène les femmes à se sentir plus forte pour porter plainte ! 

Comment faire face à la honte, au regard de la famille?

La libération de la parole des femmes qu’a suscitée le mouvement MASAKTACH (le METOO marocain) met en avant combien la honte fait taire. Ce # c’est l’opération d’inversion: la honte a changé de camps. Par l’affichage du nom des agresseurs la honte change de camps. Les harceleurs et/ou agresseurs doivent assumer la responsabilité de leurs actes – jusque-là à huis clos – aux yeux de tous. Au Maroc, où la religion et le poids des traditions pèsent sur les épaules des femmes, est un frein puissant pour dire l’innommable de la souillure. Pour pouvoir faire face au regard de la famille, il faut se sentir protégé par elle. Quel risque j’encours si je dénonce ? Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, une jeune fille violée, devait épouser son violeur pour laver l’honneur de la famille. Le problème n’est pas de dire mais est-ce que l’espace dans lequel je vis donne crédit à ma parole ? Est-ce que l’espace dans lequel j’ai grandi est sécurisant ? L’éducation traditionnelle qui mesure son honneur à l’aune du corps des femmes, est une chape de plomb puissante. Comment franchir la barrière de la pudeur et de la honte pour dire ce qu’on a vécu, ce qui a meurtri notre chaire, celle convoitée et si cadenassée par l’éducation. Cela relève du parcours du combattant. 

Quelles sont les conséquences psychiques d’un harcèlement sexuel ?

De façon générale, tout harcèlement sexuel a des conséquences physiques et psychiques. D’abord, il est nécessaire de rappeler que la sexualité a un caractère traumatique. Cela ne va pas de soi. En psychanalyse, la sexualité relève du réel. Le harcèlement sexuel, est un forçage qui vise à atteindre l’intégrité d’une personne sans son consentement. Lorsque le harcèlement sexuel est répété dans la rue, dans le milieu professionnel ou dans la sphère privé, il entraîne des conséquences lourdes psychiques qui se matérialisent physiquement. Les conséquences psychiques sont multiples et peuvent varier d’une personne à une autre. Nous pouvons répertorier différents symptômes : Troubles du sommeil, de l’appétit, de l’élan vital, dépression, anxiété, angoisse, avec un sentiment de honte et d’humiliation qui se mélange. Le monde devient hostile et dangereux avec un sentiment de peur qui est chevillé au corps. A la différence du harcèlement sexuel, l’agression sexuelle fait effraction dans le corps et peut menacer l’édifice subjectif de voler en éclat. C’est une expérience de déflagration où le langage disparaît et où le corps se pétrifie. Pour protéger l’intégrité psychique qui menace de voler en éclat, l’esprit et le corps se dissocie. C’est comme si ce n’était pas elles qui étaient agressée, elles voient la scène se dérouler sous leurs yeux tout en étant à l’extérieure de ce corps pillé par l’agresseur. C’est dans l’après-coup que se manifeste des symptômes d’une intensité qui sera variable d’une personne à l’autre. Un long travail de parole est nécessaire pour permettre aux victimes d’harcèlement et/ou d’agression sexuelle de se réconcilier avec leur corps et habiter le langage autrement.

Peut-on se remettre complètement d’un harcèlement sexuel ?

Tout événement traumatique qui relève du réel a une répercussion dans la vie d’un sujet. Il y a un avant et un après. Le monde change de couleur. La façon d’habiter le monde se trouvera marqué par le sceau de cet événement. Qui n’a pas rêvé de faire reset pour faire taire la souffrance liée à un événement contingent de l’existence ? Ce n’est pas sans faire penser au film de science-fiction, Equilibrium datant de 2002 du réalisateur Kurt Wimmer qui met en scène une société dont l’idéal est d’éradiquer les affects par l’administration quotidienne du Prozium à ses habitants. Cet opium délivre de la tristesse, anesthésie toutes formes de douleurs morales en supprimant les souvenirs qui les causent. Dans cette perspective, chaque individu mène désormais une vie identique où règne le dictat de l’uniformisation et du conformisme. Il aborde chaque instant de sa vie sans surprise et en toute confiance : l’imprévisible est aboli. La fiction a rejoint la réalité avec l’utilisation du Propanolol la pilule dite de «l’oubli ». Il s’agit d’un bétabloquant premièrement utilisé pour le traitement de l’hypertension artérielle. Il a trouvé ensuite une nouvelle application pour surmonter le trac que ce soit de la scène ou des examens. Il trouve une nouvelle application dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique. Il fut en particulier administré aux victimes des attentats de Paris de novembre 2015, sous forme d’un protocole mis en place par le professeur Alain Brunet de Mc Gill en collaboration avec le professeur Millet, à la Salpêtrière sous le nom «Paris Mémoire Vive ». Ce médicament agit sur la mémoire à court terme. Le protocole est le suivant : encadré par un psychologue ou un psychiatre, le patient prend un comprimé et rédige son souvenir traumatique. Une heure plus tard, lorsque le médicament a fait effet, il le lit. Le protocole s’étale sur 16 séances. « Il faut préciser que, loin d’être une pilule magique, ce traitement ne fonctionne pas sur un tiers des patients. » . Ce protocole tente de réduire le traitement du traumatisme à une manipulation de la mémoire, alors que la mémoire traumatique est à un tel point complexe que cela ne marche pas.

Pour le dire avec Jacques-Alain Miller, c’est une promesse, que l’on pourra vous réparer, vous reprogrammer.  Vertigineux! Nous savons combien il est illusoire de penser qu’on se remet d’un traumatisme. Cela demande du temps et un accompagnement psychologique – en passant par le défilé de la parole et du langage – qui tient compte du réel en jeu mis à nu par le traumatisme.  On apprend à se défaire de ce qui ronge de l’intérieur, on apprend ce que cela convoque en nous, pourquoi on a cédé face à la pression. Les affects, les sentiments, ne se mesurent ni à l’aune de la science, ni à l’échelle du temps chronologique. Il s’agit de redevenir acteur de sa vie pour mieux se détacher du traumatisme et retrouver le fil (rompu) de son existence avec plus de sérénité. 

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