Quand les femmes prennent le pinceau : Baya, Fatima, Chaïbia et l’éclat d’une création sans école

by La Rédaction

Dans les salons feutrés de la CMOOA à Casablanca, une lumière vive s’apprête à jaillir d’œuvres qui n’ont rien perdu de leur puissance ni de leur singularité. Aujourd’hui 25 juin à 17h, trois figures majeures de l’art féminin du XXe siècle seront mises à l’honneur dans une vente aux enchères attendue : Baya Mahieddine, Fatima Hassan El Farouj et Chaïbia Tallal. Trois artistes autodidactes, trois univers, une même force créatrice — libre, viscérale, indomptable.

Leurs toiles et gouaches, présentées jusqu’à hier dans le cadre de l’exposition « La Création Féminine », racontent bien plus qu’un parcours artistique : elles chantent la vie, la mémoire, l’intuition. Et surtout, elles brisent les carcans d’une histoire de l’art longtemps figée au masculin.

   

Baya Mahieddine est sans doute la plus connue du trio. Propulsée sous les projecteurs à l’âge de 16 ans par Aimé Maeght, elle fascine dès ses débuts des géants comme Picasso ou Braque. Ses figures féminines mythiques, souvent entourées d’oiseaux et de végétation foisonnante, font d’elle une poétesse picturale. « Baya est reine », écrivait André Breton, voyant en elle une résurgence de “l’Arabie heureuse”, un espace onirique où le merveilleux supplante le réel. L’œuvre « Femme à l’oiseau » présentée aux enchères est estimée entre 18 000 et 25 000 euros — un jalon de plus dans la reconnaissance d’une œuvre qui a su préserver sa magie initiale.

À ses côtés, l’œuvre de Fatima Hassan El Farouj incarne une autre forme de réinvention. Ancienne brodeuse, elle transpose dans la peinture un langage inspiré du fil et de l’aiguille. Les scènes de vie qu’elle compose — comme dans « Féérie » (1980) — regorgent de détails minutieux, de textures, de jeux de couleurs subtils. Grâce à son mari, elle découvre la peinture, s’en empare, et invente sa propre grammaire visuelle, libérée des conventions. Ses œuvres, estimées entre 5 000 et 7 000 euros, offrent un regard intime et précieux sur une culture vivante, en mutation.

Enfin, comment ne pas évoquer Chaïbia Tallal, figure totémique de l’art brut marocain. Son parcours — celui d’une femme née dans la pauvreté, mère à 13 ans, devenue une peintre exposée à l’international — incarne un véritable conte moderne. Influencée par ses rêves et par une énergie créative inépuisable, elle bouleverse les normes avec une peinture radicale, vive, en rupture avec les canons esthétiques de son temps. Ses œuvres, telles que « Negafa » ou « Composition », estimées jusqu’à 42 000 euros, sont autant de manifestes picturaux à la vitalité explosive.

À travers cette vente exceptionnelle, la CMOOA ne propose pas seulement des œuvres à collectionner : elle célèbre un souffle féminin qui, loin des écoles et des académies, a su dessiner les contours d’un art populaire, libre et profondément humaniste. Un art de l’instinct, du cœur et de la mémoire.

   

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