Ziad Rahbani, le jazzman rebelle d’un Liban tourmenté, tire sa révérence

by La Rédaction

Le Liban perd l’une de ses plus flamboyantes consciences artistiques. Samedi 26 juillet, à 9 heures du matin, le cœur de Ziad Rahbani a cessé de battre, emportant avec lui une ère de critique sociale audacieuse et de créations musicales hybrides. Fils de la légendaire Fairouz et du compositeur Assi Rahbani, il n’était pas seulement l’héritier d’un nom illustre : il était une voix à part, libre, mordante, parfois provocante, toujours lucide.

Dès son plus jeune âge, Ziad impose son style, entre satire politique et jazz oriental. Il compose à 17 ans « Sa’alouni El Nass », chanté par sa mère, alors que son père est hospitalisé. Très vite, il bifurque vers le théâtre, où il devient une figure culte. Ses pièces comme « Bennesbeh Labokra Chou? » ou « Un long film américain » mêlent humour noir et tragédie pour diagnostiquer un Liban au bord de la folie. Bien avant que la guerre civile ne s’abatte sur le pays, Ziad avait déjà pressenti les fractures communautaires et les absurdités d’un système corrompu. Il y répondait par des dialogues acerbes, devenus cultes, que les Libanais continuent de réciter comme des mantras générationnels.

   

Sur le plan musical, il a été un pionnier du « jazz oriental », fusionnant les rythmes occidentaux avec les sonorités arabes pour créer un langage musical inédit. Il ne cherchait ni à séduire ni à adoucir. À travers ses albums — de « Abu Ali » à « Houdou Nisbi » — il dénonçait les clivages, l’hypocrisie sociale et la résignation populaire, tout en conservant une ironie mordante. Sa chanson « Ana Mouch Kafer » (Je ne suis pas un infidèle) reste l’une des plus saisissantes professions de foi laïque dans un pays en proie à la confessionnalisation.

Engagé à gauche, laïc convaincu, il était l’enfant terrible d’un monde artistique souvent trop conciliant. Sa bohème, son humour caustique et son refus du compromis l’ont isolé parfois, mais toujours auréolé du respect des opprimés, des marginaux, de tous ceux qui voyaient en lui une voix qui disait tout haut ce que d’autres taisaient. Son état de santé fragile, aggravé ces dernières années, n’a pas entamé son franc-parler ni sa fidélité à ses idéaux.

À l’annonce de sa disparition, les hommages ont afflué. Le président libanais Joseph Aoun a salué « une conscience vive » ; le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, a évoqué « une voix libre, restée fidèle à la justice ». Et Carmen Lebbos, sa compagne et muse de toujours, a simplement écrit : « Je sens que le Liban est devenu vide. »

Aujourd’hui, le silence laissé par Ziad Rahbani résonne comme un rappel : celui d’un Liban qui savait rire de ses blessures, pleurer en musique, et rêver, même dans le chaos. Ziad n’est plus, mais ses œuvres, elles, n’ont pas fini de faire du bruit.

   

Vous aimerez aussi