Il aura fait parler la France pendant près de quatre décennies, parfois à tort, souvent à raison. Thierry Ardisson, l’inoxydable animateur aux lunettes noires, est décédé à Paris à l’âge de 76 ans des suites d’un cancer du foie. Une fin discrète pour un homme qui aura tant aimé la lumière crue des projecteurs et les phrases qui claquent.
À une époque où la télévision se contentait souvent du convenu, Ardisson est arrivé comme une gifle, avec ses talk-shows audacieux, ses formules bien senties et cette façon unique de mener l’interview comme un duel chic. De Bains de minuit à Tout le monde en parle, il a réinventé la conversation télévisuelle, mélangeant provocation, glamour et profondeur. Il savait désarçonner sans vulgarité, déstabiliser avec élégance, tout en gardant ce sourire de sphinx dont on ne savait jamais s’il annonçait la tempête ou la connivence.
Le Tout-Paris médiatique, culturel et politique s’est pressé sur ses plateaux, à la recherche de cette reconnaissance cathodique unique que seule l’émission d’Ardisson semblait pouvoir offrir. Ses formules – “Bonsoiiiir”, “Magnéto Serge !” – sont entrées dans le lexique populaire, tout comme ses silences calculés, son regard perçant, et ce noir qu’il portait comme une armure.
Mais Ardisson n’était pas qu’un provocateur. C’était aussi un créateur de concepts, un homme de formats, un bâtisseur de télévision. En plus des mythiques Lunettes noires pour nuits blanches et Rive droite / Rive gauche, il a produit des dizaines d’émissions, toujours à la recherche d’un nouveau terrain de jeu médiatique. Avec Salut les Terriens ou 93, Faubourg Saint-Honoré, il n’a jamais cessé de brouiller les lignes entre le divertissement et la confession, le chic et le choc.
Même dans ses derniers projets, comme Hôtel du temps en 2022, il est resté fidèle à cette volonté de repousser les limites, flirtant avec l’intelligence artificielle pour redonner voix aux morts célèbres. Une manière, peut-être, de conjurer l’oubli, et de rappeler que dans ce métier, la postérité se construit en direct.
À ses côtés jusqu’au bout, son épouse Audrey Crespo-Mara a salué “un homme courageux et libre”. Des mots simples, qui disent tout de celui qui a su imposer sa différence dans un univers souvent normé. Thierry Ardisson est parti, mais ses “bonsoirs” résonneront encore longtemps dans nos mémoires. Et dans l’histoire de la télévision, il restera ce dandy noir, mi-interrogateur, mi-iconoclaste, toujours en avance d’un concept.