Le dernier morceau de Draganov, Tach, a allumé la mèche d’un débat qui dépasse la musique. En quelques jours, le clip a explosé les compteurs et frôlé les cinq millions de vues, porté par un public du Maghreb jusqu’en France. Mais la présence de l’humoriste algérien Mohamed Khassani face au rappeur marocain – assis sur un empilement de chaises, sa posture fétiche – a crispé une partie des réseaux algériens, qui y voient un symbole d’infériorité. D’autres, nombreux, y lisent au contraire une main tendue entre voisins. Le fait est devenu une affaire, et la musique, un prétexte.
Remettons les images dans leur contexte. Draganov, de son vrai nom Adnane (ou Adnan) Mahyou, vient d’Oujda, ville-frontière où les influences marocaines et algériennes s’entremêlent depuis toujours, et son esthétique emprunte naturellement au raï. Les chaises sur lesquelles il s’installe ne sont pas une hiérarchie de fortune mais une signature visuelle déjà vue dans d’autres clips, comme Tiki Taka. Autrement dit: un choix de mise en scène, pas un message codé.
Sur les réseaux, la bataille de lectures fait rage. Beaucoup d’Algériens ont salué l’idée d’une passerelle culturelle et le peps de Khassani, figure populaire rompue à la danse et à l’énergie de scène; d’autres ont dénoncé une “provocation” et une “humiliation”, allant jusqu’à réclamer des sanctions symboliques. Au milieu, Draganov a tenté d’éteindre l’incendie: dans une réaction relayée par la presse, il rappelle des souvenirs communs et des chants partagés, “jumeaux” plutôt qu’adversaires. Rien, dans le texte, ne vise l’Algérie; et l’on oublie que le raï, de l’Oranie à l’Oriental, a toujours porté la fête comme exutoire et la mélancolie comme boussole.
Reste le mot, Tach, et l’imaginaire qu’il convoque. Plusieurs observateurs y voient la référence à une figure de rue baptisée “maryoul”: survêt brillant, sacoche en bandoulière, baskets à l’esthétique appuyée – un code visuel que le lettrage du titre s’amuse à reprendre, clin d’œil graphique compris. Les paroles s’inscrivent, elles, dans les thèmes classiques du raï: lassitude, loyauté, ivresses légères, et même un appel à “lever le drapeau blanc”, manière de dire stop aux querelles stériles. En somme, un clip enraciné dans un patrimoine commun qui, ironie du sort, aura ravivé des susceptibilités que la musique essayait justement d’adoucir.