En 2025, ils ne sont pas seulement les champions de la sieste et du jamón ibérico. Selon l’enquête mondiale d’Ipsos, les Espagnols connaissent une véritable embellie intérieure : 72 % d’entre eux se disent heureux, soit une hausse spectaculaire de 11 points par rapport à 2011. Mais la recette de leur bien-être n’est pas là où on l’attend.
À Barcelone, au cœur d’un marché de Sant Jordi baigné de soleil, Adrià et Ariadna, couple aussi souriant qu’engagé, tiennent un stand de roses et de créations artisanales. Si l’on pourrait penser que le climat méditerranéen ou les célèbres tapas contribuent à cette joie de vivre, leur réponse est plus intime : « C’est la famille. Elle a toujours été là, même dans les pires moments », confie Adrià. Sa compagne, doctorante en biologie, complète : « Nous vendons ici des créations de ma mère, on fait ça ensemble, comme toujours. » Ce lien intergénérationnel, cet esprit de clan, traverse toute la société espagnole.
Et ce n’est pas un simple cliché. L’enquête Ipsos révèle que plus de la moitié des Espagnols placent la famille au cœur de leur bonheur. Un socle affectif puissant, renforcé par des traditions ancrées et une culture de la proximité. « Ici, on ne parle pas toujours de ses émotions, mais on passe du temps ensemble, c’est une vraie cohésion », analyse Agathe Fourgnaud, psychothérapeute française installée à Barcelone. À cela s’ajoute l’influence positive des communautés sud-américaines, très présentes dans certaines régions, qui perpétuent une culture du groupe, de la solidarité et de la joie partagée.
Ce tissu social dense permet d’éviter l’isolement, à tout âge. Une différence marquante avec d’autres pays européens, où la solitude s’installe parfois dès l’âge adulte. Autre particularité ibérique : un pragmatisme rassurant. « Les Espagnols sont moins assistés, plus centrés sur leurs ressources personnelles et familiales », poursuit la psychothérapeute. Résultat : même avec un revenu moyen inférieur de 25 % à celui des Français, ils se déclarent largement plus heureux. Une leçon de philosophie de vie, quand on sait que les Indiens – pourtant beaucoup moins fortunés – arrivent en tête du classement mondial du bonheur.
Mais la famille n’est pas seule à entretenir ce bien-être. La santé mentale est devenue en Espagne une priorité nationale. C’est même le deuxième facteur de bonheur cité, loin devant les préoccupations matérielles. Le gouvernement a lancé un ambitieux plan d’action pour 2025-2027 : renforcement des effectifs de psychologues, campagnes de sensibilisation, accès facilité aux soins, aides pour les populations vulnérables. Une avancée saluée par les professionnels du secteur. « Il y a une nouvelle génération de praticiens très bien formés », note Agathe Fourgnaud, même si le système public reste perfectible.
Ainsi, dans une Europe souvent morose, l’Espagne offre une alternative enthousiasmante. Moins centrée sur l’individualisme et la performance, plus attentive aux liens humains et au bien-être psychique. Une invitation à ralentir, à se recentrer… et à partager un moment en famille autour d’une tortilla.