Il fut un temps où le mandarin n’évoquait, dans l’imaginaire collectif marocain, qu’une langue hermétique, réservée à quelques érudits curieux. Ce temps-là semble révolu. En l’espace d’une décennie, le chinois est devenu une véritable passion nationale, porté par l’essor fulgurant des échanges sino-marocains et une volonté de diversification linguistique chez les nouvelles générations. Des bancs de l’Université Hassan II de Casablanca aux classes d’écoles primaires de Bouskoura, le mandarin s’impose peu à peu comme un levier d’avenir.
Ce tournant linguistique doit beaucoup à l’action des Instituts Confucius, dont celui de Casablanca constitue la figure de proue. Depuis sa création, ce centre a formé plus de 10.000 apprenants, et les chiffres ne cessent de grimper : près de 1.800 étudiants en 2024, plus de 1.900 préinscriptions pour 2025. Mais au-delà des chiffres, c’est la diversité des profils qui impressionne. Étudiants, fonctionnaires, professionnels, retraités, voire écoliers de 5e année : le mandarin rassemble aujourd’hui un public aussi varié qu’enthousiaste.
À la tête de cette transformation, la Pr Fadma Aït Mous insiste sur la nature stratégique de cet engouement. Car si l’apprentissage du chinois répond à une curiosité culturelle, il s’inscrit aussi dans un cadre bien plus large : celui d’un repositionnement du Maroc dans les flux économiques mondiaux. Les investissements chinois au Maroc, notamment dans les secteurs des infrastructures, des télécommunications ou de la logistique, ont créé un besoin criant de profils bilingues. Le mandarin devient ainsi un passeport pour les jeunes diplômés, dans un marché de l’emploi de plus en plus globalisé.
L’Institut Confucius ne se contente pas de cours traditionnels. Ateliers de calligraphie, projections de films chinois, cuisine, camps d’été en Chine ou encore concours de langue : l’apprentissage est conçu comme une immersion complète, alliant rigueur linguistique et découverte culturelle. Le numérique y trouve également sa place avec des plateformes interactives comme “Taoli”, qui offrent aux étudiants des outils de révision dynamiques.
Cet engouement ne se limite plus à Casablanca. Des antennes ont vu le jour à Rabat, Tanger, Meknès, et d’autres sont en préparation. À Rabat, le partenariat avec l’Université de Pékin donne naissance à des synergies académiques inédites, tandis que le Centre culturel chinois, inauguré en 2018, promeut activement le dialogue interculturel.
L’initiative de la Fondation BMCE Bank marque un autre tournant : l’introduction du mandarin dans les écoles primaires. À Bouskoura, Ouled Larbi et Ouahdana, 180 enfants apprennent aujourd’hui à saluer, compter ou dialoguer en chinois. Une expérience pilote qui pourrait, à terme, s’étendre à l’échelle nationale. L’idée ? Faire du chinois une langue vivante parmi les autres, au même titre que le français, l’anglais ou l’espagnol.
Selon la Pr Zheng Qiong, ancienne directrice chinoise de l’Institut, cette dynamique pourrait bouleverser durablement le paysage éducatif marocain. Elle évoque déjà l’intégration du mandarin dans le système public, soutenue par une demande réelle, un réseau associatif actif et une volonté politique croissante.
Derrière ce succès, se dessine une ambition : faire du Maroc un pont académique entre l’Afrique et la Chine. L’Institut Confucius de Casablanca joue pleinement ce rôle, notamment à travers la conférence annuelle « Sur les extrémités de la Route de la Soie », alternant entre Casablanca et Shanghai. En élargissant ses partenariats, en multipliant les échanges et en valorisant la recherche conjointe, le Maroc tisse avec la Chine bien plus qu’un simple lien commercial : une alliance culturelle, linguistique et humaine tournée vers l’avenir.