Ce qui n’était qu’un coup de crayon improvisé sur un vol Paris-Londres en 1984 s’est mué en objet de culte. Le tout premier sac Birkin, conçu pour et porté par Jane Birkin elle-même, vient d’être adjugé pour 10 millions de dollars. Un chiffre vertigineux, qui témoigne de la folie spéculative autour des accessoires de luxe. Mais aussi d’un décalage grandissant entre la légende d’origine du sac… et sa destinée actuelle.
Car à l’origine, il n’y avait ni bling ni vitrine. Juste une actrice britannique, une icône au style bohème, qui trouvait que son cabas en osier ne suffisait plus. Assise à côté de Jean-Louis Dumas, alors PDG d’Hermès, elle exprime son besoin d’un sac à la fois grand, souple et pratique. Quelques traits griffonnés plus tard, le Birkin était né : un sac pensé par une femme, pour les femmes, et non une démonstration de statut.
Quarante ans plus tard, le contraste est saisissant. Le modèle original, patiné, presque banal à première vue, atteint des sommets d’enchères qui en font l’un des sacs les plus chers jamais vendus. Ironie cruelle : Jane Birkin elle-même utilisait ses sacs jusqu’à l’usure, les recousait, y accrochait des porte-clés ou des badges… sans jamais céder au fétichisme luxueux qu’ils suscitent aujourd’hui. Elle disait même, à demi agacée, qu’Hermès pouvait retirer son nom s’il le souhaitait.
Mais dans un monde où les objets iconiques deviennent des placements, ce sac n’est plus un accessoire. Il est une valeur refuge, une pièce de musée, parfois même un instrument de pouvoir social. Le geste initial de Dumas, charmé par la décontraction de Jane, a donné naissance à une légende artisanale… mais la légende s’est échappée de ses mains.
Que reste-t-il du Birkin original ? Peut-être une poignée de cuir usé, quelques initiales discrètes, un souvenir de ce que le luxe savait être : le confort de l’élégance, pas la caricature du prestige. À 10 millions, ce n’est plus un sac. C’est un totem.