Il arrive que le silence fasse plus de bruit qu’un chant de stade. Et ce 3 mai, au Complexe Mohammed V de Casablanca, ce n’est pas un chant que Jad Benhamdane a fait entendre, mais un cri. Un cri discret mais percutant, lancé depuis une chaise roulante, depuis cette humanité que les rampes d’accès prétendent embrasser… sans jamais vraiment l’atteindre.
Jad Benhamdane, responsable dans une grande banque de la place, écrivain du sensible (Ma vie en marche), et supporter invétéré du Wydad, s’était rendu ce soir-là au stade avec l’enthousiasme intact d’un passionné. Le cœur battant, le billet en main, l’envie de vibrer avec les siens. À première vue, tout semblait avoir changé : pictogrammes visibles depuis l’avenue, trottoirs lissés, rampes flambant neuves. Une accessibilité apparente, en vitrine, presque exemplaire. « Je me suis senti glisser sur cette rampe comme dans un rêve d’égalité », écrit-il.
Mais c’est justement là que le rêve se brise. À l’arrivée, pas un espace dédié, pas une barrière de sécurité, aucune visibilité sur le terrain. Juste une mer de torses debout, un océan de dos tournés, et l’invisibilité comme horizon. « On a pensé à la rampe. On a oublié la destination. » Le cri, alors, devient politique. Non contre le Maroc, mais pour lui. Pour que cette inclusion ne soit pas un mot gravé sur un plan d’urbanisme, mais une réalité vécue. Pour que la CAN, que le royaume s’apprête à accueillir, ne devienne pas le théâtre d’un simulacre logistique.
Jad est rentré chez lui. Il a regardé le match depuis son canapé, la tête pleine d’images que le terrain ne lui a pas données. Le lendemain, il a partagé son expérience dans une tribune publiée sur ses réseaux sociaux. Le texte, poignant et sans détour, a rapidement trouvé un large écho : en quelques heures, il était déjà massivement lu, commenté, partagé. Un cri individuel devenu élan collectif. « Pas une once d’organisation pour nous permettre de voir, de vivre, de vibrer. » Son témoignage est un miroir tendu à une société qui construit de belles entrées, mais oublie la place à table.
En donnant voix à cette indignation, Jad Benhamdane offre bien plus qu’un récit personnel : une alerte citoyenne. Un appel à l’action, aux architectes, aux fédérations, aux décideurs. Car ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement un match. C’est la dignité.