À Rabat, dans le calme feutré de son studio, Hicham Lahlou célèbre trois décennies d’une carrière qui a redéfini les contours du design contemporain africain. Figure majeure sur la scène internationale, le designer marocain conjugue esthétique, engagement et transmission avec une volonté constante : faire rayonner l’Afrique, non pas comme un réservoir d’inspiration exotique, mais comme un territoire fertile d’innovation, de dialogue et de création.
Tout a commencé avec une chaise. Celle de Warren Platner, rencontrée dans l’enceinte feutrée du Royal Golf Dar Es Salam. Hicham Lahlou n’a alors que huit ans, mais l’empreinte de cet objet sur son imaginaire sera indélébile. S’en suivent des études à Paris, entre l’Académie Charpentier et la Grande Chaumière, où il affine son regard dans une capitale où l’architecture et le design sont omniprésents. C’est dans cette effervescence européenne qu’il forge son approche interdisciplinaire, à la croisée du fonctionnel, de l’art et de la sociologie.
Le retour au Maroc n’était pas écrit d’avance. Après avoir exposé dans plusieurs capitales européennes et gagné en visibilité à l’international, Lahlou choisit pourtant de poser ses valises à Rabat. Nous sommes en 1996, l’architecture d’intérieur y est balbutiante. Lahlou y voit une opportunité unique de bâtir quelque chose de neuf, en puisant dans les savoir-faire locaux et les traditions millénaires du continent. Son œuvre est rapidement remarquée : du fameux narguilé disco, aujourd’hui dans la collection permanente du Victoria & Albert Museum, à ses collaborations avec Daum et Haviland, il insuffle un vocabulaire africain à l’univers du design de luxe, sans jamais céder au folklore.
Mais au-delà des objets, c’est sa vision du design comme levier de transformation qui distingue Lahlou. Il conçoit des infrastructures publiques comme les gares du TGV marocain ou les abris-bus de Fez et Rabat, repensés dans l’esprit de l’art zellige. Pour lui, le design ne doit pas être un supplément d’âme, mais une solution concrète aux défis sociaux et urbains, un vecteur de lien et de sens.
Cet engagement culmine dans ses initiatives pan-africaines. En 2017, il organise à Rabat les African Design Days avec le World Design Organization. En 2024, il lance un executive master en Design Thinking, prélude à un projet plus vaste : la création d’une African Design Academy, pour former une nouvelle génération de créateurs ancrés dans leur époque, connectés à leur héritage et au monde. Son travail avec Cheick Diallo sur “Constellation”, un brûle-encens inspiré des Dogons et des Mérinides, symbolise cette vision : croiser les cultures, les géométries, les civilisations pour dessiner un avenir commun.
Aujourd’hui, Lahlou ne cherche ni la distinction, ni le statut de pionnier solitaire. Ce qu’il souhaite, c’est l’émergence d’une scène continentale forte, solidaire, visible. Un design qui parle wolof, amazigh, swahili ou créole, qui s’épanouit dans les villes et les villages, et qui inspire autant qu’il résout. À l’heure de souffler ses trente bougies de création, Hicham Lahlou ne regarde pas derrière. Il trace des lignes claires vers demain, avec l’Afrique au cœur et le monde en perspective.