Alors que l’Aïd el-Fitr a été célébré dès le 30 mars en Arabie saoudite, une vive controverse s’est invitée au cœur de cette fête majeure de l’islam. En cause : l’annonce hâtive du début de l’Aïd par la Cour suprême saoudienne, basée sur une observation lunaire jugée hautement contestable par plusieurs autorités religieuses et scientifiques.
Le Conseil théologique musulman de France (CTMF) n’a pas tardé à réagir. Par la voix du théologien Mohamed Najah, il dénonce une décision prise « sans tenir compte des critères rigoureux requis pour l’observation du croissant lunaire ». Il explique que le croissant n’avait alors qu’environ 4 heures et demie d’existence depuis la conjonction — un âge bien trop jeune pour qu’il soit visible à l’œil nu. Selon les références astronomiques les plus fiables, il faut généralement entre 15 et 18 heures après la conjonction pour qu’un croissant lunaire puisse être perçu à l’œil nu, et au minimum 8 à 12 heures pour qu’il soit détectable au télescope. Même l’usage de caméras spécialisées, de type CCD ou LCD, aurait été insuffisant dans ce contexte.
Pourtant, l’Arabie saoudite a maintenu avoir observé la lune, entraînant de nombreux pays et fidèles dans son sillage. Ce choix a été d’autant plus critiqué qu’il s’est heurté à la position d’autres pays musulmans, à l’image de l’Égypte, qui a retenu une date différente et plus prudente. Une divergence qui, année après année, met en lumière une fracture persistante entre les approches traditionnelles basées sur la vision oculaire, et celles fondées sur les calculs astronomiques.
Au-delà du simple désaccord sur un calendrier, c’est la crédibilité même de la méthode saoudienne qui est remise en question. Nombreux sont les fidèles qui, en quête de repères clairs, se retrouvent déstabilisés par ces annonces contradictoires. Pire encore, certains en viennent à douter de la parole des astronomes, pensant que la technologie se trompe là où la vision humaine réussirait. Une inversion inquiétante qui brouille la lecture des textes religieux autant que celle du ciel.
Ce débat, loin d’être anecdotique, traduit des tensions plus profondes sur la manière dont l’islam contemporain articule tradition, science et autorité religieuse. Et si la lune continue d’inspirer les croyants, elle n’a pas fini de diviser les interprétations.