Il y a des voyages qui marquent une vie, et d’autres qui en transcendent des siècles. Celui entrepris par trois cavaliers espagnols musulmans—Abdelkader Harkassi, Abdallah Hernández et Tarek Rodríguez—relève de la seconde catégorie. En selle depuis des mois, ces hommes revivent une ancienne route andalouse vers La Mecque, en empruntant un chemin vieux de plus de 500 ans, jadis parcouru par d’autres pèlerins, aujourd’hui tombé dans l’oubli. Leur ambition n’est pas seulement spirituelle : c’est un hommage vivant à l’histoire, à la foi, et à la résilience culturelle.
Tout commence à Londres, lors d’un projet universitaire de traduction de manuscrits sur la fauconnerie du Xe siècle. C’est là qu’Hernández, converti à l’islam après avoir grandi dans une famille catholique, tisse un lien fort avec Harkassi. Une promesse intime faite à Dieu naît alors : s’il effectue un jour le Hajj, ce sera à cheval. Inspiré par le voyage d’Omar Patón, un autre Espagnol qui aurait parcouru le même itinéraire vers La Mecque il y a cinq siècles, le projet prend racine.
Après quatre années de préparation, entre canicules portugaises et gelées andalouses, le trio s’élance depuis la mosquée d’Almonaster, arborant fièrement le drapeau espagnol. Le périple, loin d’être une simple cavalcade romantique, se révèle rude et semé d’embûches. En Bosnie, leurs chevaux disparaissent trois jours durant, égarés dans un ancien champ de mines. Ailleurs, ils affrontent scepticisme, incompréhensions et parfois hostilité : « Nous avons croisé des athées, des fascistes, des gens avec une vision erronée de l’islam… », confient-ils. Mais leur foi et leur humilité transforment bien des regards. « Quand ils ont compris que nous ne cherchions pas la célébrité mais que nous roulions pour la foi, leur perception a changé. »
Durant les huit mois de ce périple initiatique, les sabots de leurs chevaux ont martelé les sentiers oubliés de l’histoire. Ce n’est pas seulement une renaissance spirituelle qu’ils incarnent, mais une reconnexion tangible entre l’héritage andalou, l’Europe contemporaine et l’islam millénaire. Dans une époque marquée par l’amnésie culturelle et les frontières mentales, leur chevauchée devient une déclaration de foi, mais aussi un manifeste pour la mémoire et la coexistence.