Il aura fallu dix ans de règne à Felipe VI pour brandir, enfin, le pouvoir symbolique de l’anoblissement. Ce 19 juin 2025, au terme de l’année anniversaire de son accession au trône, le roi d’Espagne a surpris en octroyant ses premiers titres de noblesse. Une décision hautement symbolique, venant d’un monarque connu pour sa retenue et son aversion affichée pour les fastes inutiles.
Depuis son intronisation en 2014, Felipe VI s’était inscrit dans une démarche de sobriété monarchique, rompant ostensiblement avec les traditions nobiliaires pratiquées par son père, Juan Carlos. Là où l’ancien roi distribuait les titres avec une certaine régularité — 55 créations en 38 ans de règne — Felipe s’était montré jusqu’ici intransigeant, préférant restructurer l’image de la couronne autour de la transparence, de la discrétion et d’un engagement républicain dans l’esprit, sinon dans la forme.
Le geste, donc, n’est pas anodin. En choisissant six figures emblématiques de l’Espagne contemporaine, Felipe VI inscrit ses marquis dans le récit d’un royaume ancré dans son époque. Parmi les nouveaux anoblis, l’icône du tennis Rafael Nadal, désormais marquis de Llevant de Mallorca, illustre cette volonté de saluer des parcours exemplaires, enracinés dans l’effort, la loyauté et la reconnaissance internationale. La chanteuse Luz Casal, devenue marquise de Luz y Paz, incarne quant à elle l’âme artistique espagnole, tandis que la nageuse paralympique Teresa Perales, titrée marquise de Perales, honore le dépassement de soi et la représentation de la diversité.
Le choix du scientifique Carlos López Otín, marquis à vie de Castillo de Lerés, et de la photographe Cristina García Rodero, marquise del Valle d’Alcudia, montre aussi l’importance accordée à la recherche, à l’intellect et à la culture visuelle dans la constitution d’une Espagne tournée vers l’avenir. Enfin, Jaime Alfonsín, fidèle collaborateur royal depuis près de trois décennies, devient marquis d’Alfonsín, avec la rare dignité de Grand d’Espagne, saluant ainsi une fidélité exemplaire à l’institution monarchique.
Ce retour à l’anoblissement n’est pas un simple hommage. Il s’inscrit dans un contexte plus large de redéfinition de la mémoire et de l’identité nationales. La loi de mémoire démocratique, promulguée en 2022 par Felipe VI, avait notamment effacé 33 titres octroyés sous le régime franquiste. En créant de nouveaux marquis, le roi ne restaure pas un ordre ancien, il écrit une nouvelle page — une noblesse méritocratique, ancrée dans les valeurs contemporaines.
Un roi discret, six destins d’exception, et un geste qui, sous son apparente solennité, dessine les contours d’une monarchie qui s’adapte, sans renier l’héritage. La noblesse ne meurt pas, elle se transforme.