Tribune libre – Le Requin et la Mouette : La triple réconciliation

« Je vois enfin la mer dans sa triple harmonie, la mer qui tranche de son croissant la dynastie des douleurs absurdes, la grande volière sauvage, la mer crédule comme un liseron ». René Char

Le monde aujourd’hui hurle de douleur, parce qu’il commence son travail d’enfantement. Il  doit prendre des risques. Il doit inventer de nouveaux rapports entre les hommes et la totalité de ce qui conditionne la vie : santé, éducation, climat, morale, politique, sciences et techniques. Nous nous apprêtons à quitter notre monde pour d’autres, possibles, et nous devrons laisser de côté les usages et normes qu’induit notre histoire passée. Nous entrons dans un futur incertain dénommé F-Quark !

Pendant que l’on cherche, maintenant, à construire, sans conviction réelle, un F-Quark appelé, par certains, The New Normal 2.0, nous voici, à ce point crucial où s’entrevoit la possibilité d’une triple réconciliation : entre l’homme et la Nouveauté ; entre l’homme et le Système ; entre l’homme et la Nature. Oui, une nouvelle espérance est possible. Un sens est possible. Des valeurs existent, qui méritent d’être défendues. Pour que notre parcours commun progresse d’un pas plus sûr dans la voie de demain.

1ère Réconciliation : Avec la Nouveauté 

La vraie nouveauté naît toujours dans le retour aux sources.” Edgar Morin

Les grandes amours commencent sans foudre ni coup. L’avènement marque une naissance, fait surgir une existence, fait naître des sujets, une histoire. Nous savons que toute naissance néantise une mort. La vie naissante cache la mort qu’elle relaie. Ce que la chenille appelle la mort, le papillon l’appelle renaissance.

Un grand écrivain disait souvent à ses élèves que si vous avez vocation d’écrire, apprenez, au premier chef, à parfaire votre exorde. En effet, en son avènement, tout le propos se condense, comme en modèle réduit ; son éclair allume les regards et son signal ouvre les oreilles. Nous commençons comme lorsque nous changeons et nous réalisons ex-post que les nouveautés arrivent toujours comme un voleur dans la nuit, sur des pattes de colombe.

N’oublions pas que les origines jaillissent comme bifurquent les péripéties et que les naissances éclatent comme les rencontres et les circonstances. Nous suscitons, depuis la nuit des temps,  d’autres mondes, d’autres genèses, un nouvel homme. Nous avons toujours quitté nos gîtes : l’animalité trop peu, l’Afrique autrefois, les cavernes jadis, l’Antiquité naguère, la terre ferme pour naviguer par la mer mobile et les turbulences de l’air, la cueillette et la chasse avant-hier, l’agriculture hier. Notre espèce est, par construction, condamnée à être déconfinée à jamais. Voilà son destin sans définition, sa fin sans finalité, son projet sans but, son voyage, non, son errance, l’escence de son hominescence.

Rappelons que pour progresser, l’homme a toujours construit des concepts en posant et en décrétant des hypothèses. Avec le temps, il commence à voir les limites de leurs pertinences. A titre d’exemple, l’efficience du marché était une hypothèse indiscutable ex-ante et nous avons longtemps espéré, en vain, qu’elle devienne une Aléthea ex-post. Belle illusion et triste attrition. Autre exemple, le taux d’intérêt. Il  a été défini comme étant le prix du temps, mais aujourd’hui avec des tarifs négatifs qui perdurent et se généralisent, que doit-on penser de la valeur ainsi induite de l’avenir, de notre futur ? Et pour clore le tout, nous avons vu dernièrement des vendeurs de barils offrir, sans gênes, des prix négatifs. Du jamais vu, du jamais pensé ! Tout cela nous hèle, nous interpelle. La fission froide n’est peut-être plus une chimère.

Tout changement d’échelle demande une rectification des concepts. Il faut, a priori, savoir chercher. Mais messieurs les trouveurs, pas de panique !  La sérendipité est là pour nous sauver. La sérendipité est un joli mot emprunté à l’anglais, c’est un anglicisme exquis. La langue française n’a pas d’équivalent. La sérendipité veut tout simplement dire le bonheur de trouver ce qu’on ne cherche pas. De l’ancien Monde au Nouveau Monde. Embarquement immédiat. Sérendipitement vôtre.

 2ème Réconciliation : Avec le Système

No man is an island – he is a holon”. Arthur Koestler

Dans le système, l’homme n’est plus homme, il est Homo Systemicus (HS). Il y a une différence entre l’homme qui pense par lui-même de celui qui est possédé par des systèmes. Dans un système tout se tient, tout est ficelé, il n’y a pas de fenêtre qui donne vers le dehors. L’Homo Systemicus est un homme qui a intériorisé les valeurs d’un système et qui, réglé comme un métronome, agit en fonction des valeurs qui lui ont été inculquées.

En somme,  HS est l’humain déshumanisé. Il est tout le temps autre car il est étranger à lui-même ; autre que l’homme, il est un étrange étranger, un être indéfinissable, qui a bien quelque chose d’humain, une partie de lui indéterminable, dont on ne saurait percevoir les contours, et aussi quelque chose de systémique, qui moule sa structure intellectuelle et le conduit à penser d’une certaine manière soigneusement prédéfinie par le ou les systèmes.

Comment réconcilier l’Homo Sapiens avec l’Homo Systemicus ?

Certes, l’organisation n’est pas une donnée naturelle mais un construit social, cependant, nous pouvons légitimement nous poser les questions suivantes : pourquoi les systèmes organiques – l’amibe, le ver de terre, l’organisme humain – trouvent-ils des équilibres réussis d’individuation et d’intégration, de différenciation et d’homogénéisation, alors que les organisations, les institutions, les groupes, construits par l’homme, sont sujets à des déséquilibres entraînant un dysfonctionnement douloureux et coûteux? Pourquoi ces systèmes supra-organiques ne trouvent-ils pas naturellement des équilibres sains non destructifs du système durable?

Pour obtenir une réconciliation réussie, certains ont avancé l’idée d’avoir des systèmes Robustes qui  sont des systèmes de Puissance et d’Amour. Ces nouveautés sont une possibilité pour tous les systèmes sociaux de nos vies: la famille, l’équipe, l’organisation, l’école, l’entreprise, la communauté et la nation.

Ainsi, la Puissance d’un système Robuste viendrait de l’individualisation et la différenciation. En effet, de la liberté et de l’indépendance de ces membres, le système peut expérimenter, tester, fureter et se challenger. Grâce à l’énergie de l’ensemble du système, ce dernier élabore son potentiel, adapte sa structure, explore un large éventail de formes et de processus d’interaction complexe avec ses environnements.

Pour ce qui est de l’Amour d’un Système Robuste, celui-ci viendrait de l’homogénéisation et l’intégration. La reconnaissance, la préservation de la cohésion, l’engagement et l’union des membres du système, leur permettra ainsi de soutenir et d’être soutenus par les autres pour une cause commune.

Vu sous cet angle, il devient clair que les processus d’Amour soutiennent ceux de la Puissance et réciproquement. Il est aussi évident que  choisir l’un sans l’autre, conduit à l’inévitable conséquence destructrice du système. Il est également visible que si nous pouvions voir, comprendre et maîtriser ces processus du système entier, il nous serait possible de créer des systèmes sains et productifs – Systèmes Robuste, Systèmes de Puissance et d’Amour. Does-it ring a bell to you?

3ème Réconciliation : Avec la Nature

« La nature a horreur des trop longs miracles ». Albert Camus

Le Monde ou la Nature : Homo Sive Natura

« Terre, t’aimons-nous ? ». Le diagnostic que la communauté scientifique pose sur la santé de la planète et de sa biodiversité – composée des « vivants » humain, végétal, animal – est sans appel. Une santé dont les causes de la détérioration ne sont pas endogènes et au contraire résultent du seul travail, de la seule pugnacité, de la seule hargne de l’Homme. Ici, travail, pugnacité, hargne sont drapés d’un sens tout particulier : celui de la vanité et du mercantilisme, de l’arrogance et du consumérisme, de l’égoïsme et de la rapacité, de l’utilitarisme et de l’inconsistance. La technologie va nous sauver de tout, pense-t-on communément. Or, cette fallacieuse considération obstrue notre lucidité et nous plonge dans une cécité propice à l’indicible. « Dès que l’on se croit supérieur, on se met en danger », prévenait Darwin.

L’Homme n’a pas d’autre choix que de se réconcilier avec la Nature. La réconciliation entre l’homme et l’environnement, ce qui passe par la reconnaissance d’une nouvelle norme, celle de sauvageté. En reconnaissant la part positive et civilisée du sauvage, opposée à la sauvagerie, cette norme invite à un dialogue renouvelé entre l’homme et la biosphère. Il s’agit aujourd’hui, de promouvoir un projet de développement durable qui permette de réconcilier les sociétés et les hommes avec leurs environnements.

Pour le meilleur et pour le pire, l’information et la communication, avec ses intermédiaires et ses pouvoirs, traversent la Terre entière et ses habitants; elles définissent de nouvelles communautés, un «nous» global. A la Terre entière, correspond donc aujourd’hui l’humanité, non plus abstraite, sentimentale et potentielle, comme naguère, mais actuelle et bientôt effective. Un certain humanisme renaît.

Sur le sujet de la nature, passe-partout propose d’éduquer collectivement le savant, le technicien, le politique et l’usager, comme nous éduquons nos enfants, individuellement, depuis l’origine de toute éducation. Nous devenons, sur le tard, des adultes de la connaissance et de l’action. Cette exigence de symbiose avec la Nature change aujourd’hui le rapport de connaissance. Pantope nous le répétait depuis la nuit des temps. Avant la connaissance, l’échange; pour rendre équitable l’échange il faut un Contrat. La connaissance commence avec le droit; de même l’action technique commence par le droit d’échange. Commence alors une symbiose de l’objet-monde global et du sujet-genre humain global. Le droit fonde la symbiose.

Nous savons que le libre marché est simplement une « utopie physique ». L’économie ne peut se développer que si elle est en harmonie avec la Nature. Nous devons adopter une conscience économique plus grande qui nous conduira à la création d’une nouvelle économie humaine, existentielle, naturelle, une économie qui travaillera main dans la main avec l’écosystème pour la sauvegarde de la biosphère. La rationalité et l’efficacité ne suffisent pas à garantir les bases du succès de la vie.

Bien sûr, cette terre, nous tous l’aimons. Il s’agit simplement de savoir l’aimer. Des preuves d’amour suffiraient. Vivre en harmonie avec le vivant ne constituerait-il pas un sacré beau projet ?

Et pour finir, faisons appel à René Char qui disait : « Pour que l’arc-en-ciel, ce lien de la terre et du ciel, présage une réconciliation, instaurons une nouvelle unité : une neuve innocence ». La vie humaine, quand elle prend conscience d’elle-même dans la naissance, n’est rien d’autre que cette tension entre l’appel du devenir et l’angoisse de la rétention.

Vivre, c’est maintenir, soutenir cette tension.

Although we are by all odds the most social of all social animals – more interdependent, more attached to each other, more inseparable in our behavior than bees – we do not often feel our conjoined intelligence.” Lewis Thomas