Interview-Mohamed Mouftakir : un cinéaste se renouvelle quand il est vrai

by La Rédaction

Dans «l’Automne des pommiers», son dernier opus, il raconte la relation tumultueuse d’un père et de son fils, depuis le cœur d’une famille déchirée. Un film poétique qui a touché le dernier Festival National du Film de Tanger puisque Mohamed Mouftakir est reparti avec le Grand Prix de la dernière édition. Rencontre avec le poète du cinéma marocain. 

VH Magazine : Quel est le point de départ de l’Automne des pommiers ? 

Mohamed Mouftakir : Il y a toujours un point de départ à quelque chose qui, en fait, n’en est pas une. Tout s’inscrit dans une continuité. Les choses s’enchaînent et chaque chose donne naissance à celle qui va suivre. On peut dire dans ce sens que le point de départ du film «L’automne des pommiers» est le film « L’orchestre des aveugles». Sans parler de «La pomme d’Adam» qui est elle-même, en quelque sorte, un point de départ qui a permis à l’être humain de s’imaginer un début à son existence. Le film part du point de vue d’un petit garçon comme dans L’Orchestre des aveugles. 

D’où vient ce besoin de conter les histoires depuis le regard d’un enfant ? 

Vous savez, tout se décide durant l’enfance, je pourrais même dire que tout se décide durant la prime enfance, voire dans l’utérus de la mère ou dans le sperme du père. Notre vie ne commence pas à notre venue au monde, mais bien avant. Chacun de nous porte en lui toute l’histoire de l’humanité. Raconter l’enfance ou le point de vue de l’enfant est une tentative -modeste bien sûr- de comprendre le présent pour se projeter dans un futur toujours improbable selon moi. 

L’œuvre est poétique et la darija est belle. Comment a été travaillé le scénario ? 

Il se conçoit et se fait en même temps. Je ne travaille pas par phases séparées l’une de l’autre. Un film pour moi est déjà une démarche cinématographique. C’est un tout depuis l’histoire, puis les dialogues puis la mise en scène. Tout va et se développe en parallèle. Ce n’est pas un choix volontaire, c’est juste comme ça. Si vous trouvez que c’est poétique et que la darija est belle, c’est qu’on a essayé d’harmoniser cela durant tout le processus de fabrication du film. 

Comment avoir travaillé la dimension émotionnelle, fil conducteur du film ? 

Comme je l’ai dit, la création selon moi n’est nullement une question de dosage. Ici, il faut mettre un peu de cela, là, un peu plus, et là-bas moins. Tout se fait dans une perspective sculpturale, et c’est le résultat final ainsi que la réaction du public qui nous permettent de décortiquer l’œuvre et de voir plus ou moins les choses sous cet angle, c’est-à-dire fragmenté. 

Est-ce aussi un film sur la force du pardon ? 

C’est plutôt un film sur le vivre ensemble, sur l’acceptation d’autrui au-delà des faux jugements ou tout simplement des jugements générateurs de malheur plus que de bonheur. Je pense que l’être humain a suffisamment fait de malheurs et il est temps de voir et concevoir les choses autrement. Sa façon de voir le monde est loin, très loin de la réalité des choses. 

La pomme, le cercle… c’est un film sur la vie et le cycle de la vie. Il y a des messages cachés, des sous-entendus, des références bibliques… Un film pour vous se doit-il d’avoir plusieurs lectures ? 

Il n’y a jamais une seule lecture à quoi que ce soit. Comme je l’ai dit, chacun de nous porte en lui l’histoire de toute l’humanité, comme chaque film d’ailleurs. Pour comprendre le monde, il faut tout essayer et s’ouvrir à tout ce qui est possible. Il faut être multidisciplinaire pour avoir un regard lucide. Il n’y a pas qu’une seule vérité, il y en a plusieurs. La science aussi bien que les religions, la philosophie les sciences humaines, l’art, les mythes… tout cela contribue à comprendre, à nous comprendre et à comprendre le monde. 

On sent que vous montez le film au scénario. À quel point l’étape du montage est-elle une tout autre écriture ? 

Le montage existe déjà dans le scénario, il existe quand on prépare le film et quand on le tourne. Le montage n’est pas uniquement une phase technique pour assembler les morceaux. C’est un rythme qui se cherche depuis le début. 

Depuis Pégase, votre filmographie est aussi originale que différente. Un réalisateur doit-il savoir se renouveler, selon vous ? 

Un cinéaste se renouvelle quand il est sincère. Il se renouvelle quand il est vrai. Il se renouvelle quand son souci majeur est sa création et rien d’autre. Il expérimente et voit ses œuvres chaque fois sous un angle différent, même s’il raconte la même chose ou s’il conserve le même but. Le renouvellement, ce n’est pas la variation, mais aller au fin fond de ce qui nous préoccupe et de ce que nous voulons dire. Sauter du coq à l’âne puis à la girafe n’est pas du renouvellement pour moi, mais essayer de comprendre soit l’âne, soit le coq, soit la girafe et en faire une raison de quête qui apporte un plus est, pour moi, la chose la plus intéressante qui soit. Cela m’apprend beaucoup de choses aussi bien sur l’animal que sur la vie et sur moi-même bien sûr. Chaque artiste se découvre lui-même à travers ses œuvres avant d’essayer de faire découvrir quoi que ce soit aux autres. 

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