Frida Kahlo continue de bouleverser les codes, même sept décennies après sa disparition. Ce 21 novembre, un autoportrait rare de l’icône mexicaine a été vendu pour la somme vertigineuse de 54,7 millions de dollars (environ 47,4 millions d’euros) lors d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s à New York. Ce tableau intitulé El sueño (La cama) devient ainsi l’œuvre la plus chère jamais vendue aux enchères par une femme artiste, éclipsant Georgia O’Keeffe et son célèbre Jimson Weed, qui détenait ce record depuis 2014.
Ce portrait troublant, où Kahlo se figure endormie sur un lit flottant, entourée de végétation luxuriante et surplombée par un squelette chargé d’explosifs, illustre avec force la manière dont l’artiste mêlait introspection, douleur et symbolisme. Réalisée en 1940, à une époque où sa santé vacillait et où la mort lui semblait toujours tapie dans l’ombre, cette œuvre est bien plus qu’une peinture : c’est une radiographie de l’âme. Sotheby’s n’a pas hésité à y voir « une méditation spectrale sur la frontière poreuse entre le sommeil et la mort ».
Restée hors du regard public depuis la fin des années 1990, la toile appartenait à une collection privée non identifiée. Fait notable, il s’agit de l’un des très rares tableaux de Kahlo à pouvoir légalement quitter le Mexique, où la majorité de ses œuvres sont classées patrimoine national et donc inaliénables. L’anonymat de l’acheteur nourrit déjà les spéculations, même si des musées internationaux de renom — à Londres, New York ou encore Bruxelles — se sont d’ores et déjà manifestés pour l’exposer.
Ce record pulvérise aussi celui détenu jusqu’alors par Kahlo elle-même pour une œuvre d’un artiste latino-américain. En 2021, Diego y yo, un portrait intense de son compagnon Diego Rivera, avait trouvé preneur à plus de 34 millions de dollars. Ce nouveau jalon confirme non seulement l’attrait international pour l’œuvre de Kahlo, mais souligne également son statut unique dans l’histoire de l’art : une femme, mexicaine, surréaliste à sa manière, célébrée pour avoir fait de ses cicatrices des œuvres d’art.
« Quelle femme ne se reconnaît pas en Frida ? » déclarait récemment sa petite-nièce Mara Romeo Kahlo. À l’heure où le marché de l’art commence enfin à mieux valoriser les femmes artistes, cette vente monumentale sonne comme une revanche symbolique. Frida Kahlo, qui peignait couchée, le corps meurtri mais l’âme en feu, s’impose aujourd’hui comme une figure incontournable et intemporelle. Plus chère que jamais, mais surtout plus vivante que jamais dans l’imaginaire collectif.