Le monde de l’architecture perd l’un de ses plus grands poètes visuels. Frank Gehry, créateur de formes libres et de chefs-d’œuvre déstructurés, est décédé à l’âge de 96 ans à son domicile de Santa Monica, après une brève maladie respiratoire. Le maître d’œuvre qui transforma le paysage urbain mondial laisse derrière lui une œuvre immense, audacieuse et inclassable.
Né à Toronto, Gehry a posé les bases de sa vision architecturale en Californie, après des études à l’Université de Californie du Sud puis à Harvard. Mais c’est en remodelant sa propre maison à Santa Monica, à la fin des années 70, avec des matériaux industriels bruts – contreplaqué, tôle ondulée, grillage – qu’il s’impose comme une figure montante de l’avant-garde. Ce projet radical, aussi déroutant qu’inspirant, marque le début d’une trajectoire hors norme.
Le tournant décisif de sa carrière arrive tardivement, dans la maturité de son art. Lauréat du prestigieux prix Pritzker en 1989, Frank Gehry entre dans la légende avec le musée Guggenheim de Bilbao, inauguré en 1997. Cette sculpture architecturale en titane, vibrante et fluide, change à jamais la perception de l’architecture contemporaine. “Une gerbe gigantesque de poissons d’argent frémissants”, écrivait Matt Tyrnauer dans Vanity Fair, fascinée par ce bâtiment devenu un phénomène culturel mondial.
Des poissons, justement, motif récurrent dans l’univers gehryen, symbolisent ce mélange de mouvement, de fluidité et d’imprévisibilité qui irrigue toute son œuvre. Mais Gehry n’était pas qu’un faiseur de formes spectaculaires : il rejetait l’étiquette de “starchitecte” et se méfiait de l’esthétique postmoderne, préférant puiser dans l’organique, le spirituel et même le rock’n’roll, avec ses clins d’œil à la guitare Stratocaster.
Le Walt Disney Concert Hall à Los Angeles, la Fondation Louis Vuitton à Paris, ou encore le Museum of Pop Culture à Seattle sont autant de jalons marquants d’un parcours qui marie la technologie à l’intuition artistique. Grâce à l’usage de logiciels de modélisation issus de l’aéronautique, Gehry a donné vie à des structures jusque-là inimaginables.
Homme réservé mais chaleureux, collaborateur fidèle et penseur intrépide, Frank Gehry aura su séduire autant ses pairs que le grand public. Bernard Arnault, patron du groupe LVMH, a salué “un génie de la légèreté, de la transparence et de la grâce”, tandis que Nancy Pelosi a rendu hommage à “un titan gentleman de l’architecture, communicateur du futur”.
Avec lui s’éteint un visionnaire qui a offert au béton la grâce d’un drapé, aux métaux l’âme d’un poème, et aux villes du monde entier des icônes inoubliables. Mais ses bâtiments, eux, continueront de murmurer aux passants l’audace d’un homme qui voyait l’architecture comme un art en mouvement.