Fouad Laroui et la fantasia des contradictions

by La Rédaction

Avec « La Vie, l’honneur, la Fantasia », Fouad Laroui s’aventure dans un territoire où la tradition se confronte à la modernité, où l’initiation et l’identité se construisent dans la douleur des ruptures et des paradoxes. Ce roman de 169 pages, récemment paru, se lit comme un récit d’apprentissage, mais il s’élève bien au-delà du simple schéma initiatique. À travers le regard d’un narrateur à la première personne, guidé par un oncle bienveillant, l’auteur déploie un univers où la Tbourida, rite ancestral marocain, devient métaphore d’une quête de soi et d’une lutte acharnée contre l’aliénation.

Le récit met en scène Arsalom, personnage central, enfant de la misère et fauve social prêt à tout pour s’extraire de sa condition. Sa trajectoire, marquée par le chantage, la corruption et la violence, s’oppose à celle des figures d’intégrité comme Haj T’hami. La vengeance de ce dernier, scellée lors d’une Tbourida au Moussem de Moulay Abdellah, clôt l’ascension criminelle d’Arsalom dans un déchaînement de poudre et de justice symbolique. La scène n’a rien d’un simple règlement de comptes : elle cristallise l’honneur, le déshonneur et le prix à payer pour rétablir l’équilibre social.

   

Fidèle à son style, Laroui joue des contrastes : d’un côté, la Cadillac clinquante des années 1970 comme emblème d’une modernité dévoyée, de l’autre, la cavalerie tribale et ses fusils à poudre noire comme rappel des traditions et des codes d’honneur. Cette tension entre deux mondes traverse tout le roman et traduit les dilemmes identitaires d’une société prise entre aspiration au progrès et fidélité aux racines. L’auteur enrichit ce tableau d’images saisissantes, de métaphores puissantes et d’une ironie parfois mordante, transformant son récit en une fresque où se mêlent sarcasme, humour et gravité.

Ce qui frappe également, c’est la richesse narrative : digressions philosophiques, réflexions sur l’étymologie et la mémoire collective, portraits au vitriol de la corruption et de la médiocrité humaine. On y lit par moments l’ombre de Goethe, de Dickens, ou même de Diderot, tant Laroui jongle avec les registres et brouille les frontières entre roman d’initiation, chronique sociale et satire. Le roman devient ainsi un procès symbolique d’une société oscillant entre grandeur et décadence, entre l’élan vital de la fantasia et la lourdeur d’une modernité sans boussole.

En définitive, « La Vie, l’honneur, la Fantasia » n’est pas seulement une histoire d’ascension et de chute. C’est une méditation sur la condition humaine, sur la fragilité de l’identité et sur le rôle du collectif dans la quête individuelle. La poudre de la Tbourida, plus qu’un simple bruit de fusil, devient souffle fondateur, vide et renaissance. Une œuvre à la fois enracinée dans un imaginaire marocain et ouverte sur l’universalité des luttes humaines.

   

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