Fihr Kettani : « La culture est centrale dans l’éducation »

by La Rédaction

Directeur Fondateur du Studio des Arts Vivants, Fihr Kettani est avant tout un passionné de musique , de théâtre et de culture en général. Avec une école centrée sur les arts,  une galerie, un théâtre, Fihr Kettani fait le lien entre l’enseignement artistique et la magie de la scène. Face à face.

  1. Comment est née l’idée de créer le Studio des Arts Vivants ?                                   

Une passion ardente pour le chant m’a conduit pendant mes années d’étude a l’étranger a fréquenter des écoles de chants et d’arts scéniques. Ces écoles de haut niveau présentaient des pédagogies efficaces, axées sur un apprentissage par le plaisir et l’épanouissement personnel. Une fois de retour au Maroc, j’ai pu très vite constater d’une part, la soif importante et grandissante des Casablancais pour les arts et la culture et d’autre part l’offre culturelle de l’époque qui offrait de la place pour de nouveaux projets.  C’est ainsi que l’idée de créer un centre artistique pluridisciplinaire où les arts foisonnent a commencé a germer… Un lieu consacré aux artistes qui leur offrira les moyens de se perfectionner, de se ressourcer, de transmettre, de créer et de se rencontrer. Un espace totalement pensé et dédié à l’art dans toutes ses formes allant de l’enseignement artistique par ses écoles d’arts de la scène et d’art plastiques, à la production artistique par son studio d’enregistrement, ses ateliers d’art plastiques et ses espaces de répétition et à la diffusion artistique à travers sa salle de théâtre et sa galerie d’art contemporain. 

Un lieu où la qualité des infrastructures, des équipements et des méthodes d’enseignement que j’avais expérimentés dans le passé seraient proposés.   L’idée, petit à petit se transformait en rêve, un rêve dont la force, accompagnée du soutien indéfectible de ma famille et des belles rencontres professionnelles que j’ai eu la chance de faire, ont permis la réalisation. 

      2. Comment avez-vous eu  l’idée de placer la culture au centre de l’éducation des enfants?  

L’école classique se charge en grande partie de la transmission des savoirs aux enfants et on peut constater que la part de ses programmes pédagogiques accordée aux enseignements artistiques est encore bien faible. 

L’enseignement artistique para scolaire est par conséquent une très bonne solution complémentaire à l’école classique. 

L’expérience artistique est la rencontre la plus naturelle entre l’enfant et la culture, entre l’enfant et sa propre culture, celle qui lui permettra de s’exprimer et de s’émanciper. 

La culture est en effet centrale dans l’éducation de l’enfant car elle est en quelque sorte, sa « clé du monde » dans lequel il entre et évolue, elle sera garante de sa sociabilité, de sa bonne insertion future dans la société et de son épanouissement personnel et donc de sa liberté. 

Il serait pour cela intéressant de faire collaborer d’avantage les écoles et les organismes artistiques et culturels, en ouvrant une porte pour ces derniers dans les écoles et en faisant venir les écoles dans leur organisme. 

3. Avant Corona, comment pensez-vous votre programmation culturelle ? Vous êtes à la fois une galerie bien en place et un théâtre de référence. 

Avant cette crise inimaginable, notre programmation culturelle pour le théâtre et pour la galerie était élaborée en considération de plusieurs paramètres.

Concernant notre théâtre, je peux vous décrire la phase TRES agréable de l’élaboration de la programmation théâtrale du Studio, bien que mon épouse aurait été mieux placée que moi pour en parler puisqu’elle a lancé et dirigé avec succès le théâtre du studio pendant de nombreuses années. 

L’équipe du théâtre du Studio a pour habitude de se rendre les étés au festival d’Avignon pour voir et choisir des spectacles internationaux qui auraient du succès chez nous. Il nous arrive d’y voir jusque 5 spectacles par jour ! Une fois les coups de cœurs identifiés, on abandonne un instant les exaltations, les rires et les pleurs induits par les spectacles pour traiter les aspects concrets de leur faisabilité au Maroc et au Studio à savoir : les tarifs des cachets à négocier, les estimations en VHR ( voyages hôtels restaurants ) pour les troupes, la taille des décors et l’évaluation des fiches techniques pour en estimer le coût et la faisabilité technique, les bonnes dates et les disponibilités pour la bonne tenue de notre calendrier etc… 

Une fois tous ces aspects validés, c’est tout l’équilibre de la programmation qui est mis en question, jaugé et jugé selon plusieurs critères pré définis. L’un des critères importants à respecter au-delà de la qualité est la pluridisciplinarité. Nous souhaitons chaque année une programmation éclectique composée d’un certain nombre de spectacles de théâtre, de danse, de concerts de musique, de one woman ou man show, de spectacles jeune public ou de famille ou encore dédiés aux scolaires, de spectacles en Francais, en Darija etc…. etc… 

4. Et en plus d’Avignon ?

En plus d’Avignon pour les spectacles internationaux,  nous nous concentrons sur les spectacles marocains de troupes confirmées et de troupes émergentes. Nous réalisons en général nos meilleures billetteries grâce aux spectacles marocains. 

Nous favorisons également la création artistique locale en ouvrant au maximum les portes de notre théâtre à des troupes locales en résidences artistiques telles que pour ( danser casa ou encore migrants… pour ne citer qu’eux.. ) 

Une fois tous ces critères pris en compte, la programmation d’une saison du théâtre du Studio peut enfin prendre place dans une plaquette qui sera présentée et âprement défendue auprès des généreux et indispensables partenaires sponsors et mécènes qui permettront sa diffusion. 

Concernant La Galerie 38, l’approche théorique de notre programmation avant et après la crise sanitaire a assez peu changé. C’est en revanche sa mise en pratique qui a dû être repensée pour en assurer la faisabilité malgré les contraintes. 

Notre programmation a ainsi toujours alterné entre d’une part, des artistes majeurs marocains et africains, à travers de nouvelles productions ou à travers des rétrospectives historiques aptes à révéler un parcours et un destin artistiques en le mettant en perspective avec l’Histoire et d’autre part, des artistes urbains de maturité nationaux et internationaux et enfin nos belles découvertes d’artistes émergents. La pandémie actuelle a donné  un énorme coup de fouet à nos publications et a nos communications digitales devenues un mode de monstration et de communication crucial. La crise nous a privé de la dimension festive et conviviale de nos vernissages qui formait l’un des axes de la renommée de notre galerie et que notre vocation d’espace de création et d’énonciation artistique et culturelle multidisciplinaire favorisait en raison de nos espaces généreux et de notre expertise dans les arts vivants. Nous préparons actuellement plusieurs expositions dont la deuxième exposition individuelle de La Galerie 38 consacrée a l’artiste Malien Abdoulay Konate et une nouvelle exposition individuelle de l’artiste Mohamed Hamidi après la rétrospective que nous lui avions consacré en 2011. 

5. A quel point la pandémie a-t-elle touché le Studio ?

Le Studio, au même titre que la majorité des institutions culturelles privées, a été durement touché par la pandémie et continu de l’être et avec un manque criant de visibilité car l’incertitude pèse lourdement sur une éventuelle réouverture des salles de théâtre et de cinéma. 

L’art vivant, comme son nom l’indique, exige les rassemblements qui ont été brusquement interdits pour limiter la propagation du virus. 

La fermeture immédiate de notre théâtre en mars 2020 jusqu’à aujourd’hui par les autorités a, non seulement coupé court brusquement à notre saison théâtrale entraînant toutes les difficultés que vous pouvez imaginer, mais elle a aussi annulé d’un coup de massue toutes les nombreuses et prestigieuses programmations externes prévues dans notre théâtre. 

Le studio étant aussi une plateforme événementielle de référence de par son auditorium de 600 places et ses espaces de réception, son département « évent » s’est également arrêté de fonctionner du jour au lendemain sans perspectives visibles de reprise. 

La galerie d’art de son côté s’est vu donc interdire ses soirées de vernissage et a de ce fait été privée de cet élément important de son activité. L’activité de La Galerie 38 a pu tout de même se poursuivre grâce à la qualité de ses artistes et de ses propositions. 

La galerie a également dû interrompre en partie son programme de résidences de productions artistiques à cause de la mobilité internationale des artistes rendue difficile voire impossible pour certains. 

L’école du Studio a quant à elle pu rouvrir dès octobre dernier et accueillir ses adhérents dans le strict respect des normes sanitaires. Nos grands espaces ont pu nous permettre cette année de travailler en toute sécurité avec le soutien et le talent exceptionnels de mes collaborateurs. Malgré cette ouverture autorisée, nous avons subi une baisse de fréquentation de nos cours. Nous espérons retrouver notre niveau de fréquentation lors de la saison prochaine et c’est pourquoi, nous anticipons l’ouverture des inscriptions dès le 3 mai prochain. 

6. Comment défiez-vous la pandémie et le confinement culturel ?

Défier la pandémie, cela consiste a s’adapter le mieux possible à cette situation, c’est de poursuivre du mieux que l’on peut nos missions tout en assurant notre sécurité, celles de nos adhérents et de nos visiteurs par le respect rigoureux des normes et des restrictions sanitaires. 

C’est aussi savoir rebondir et se réinventer pour faire face aux conséquences de la crise. 

C’est être solidaire et à l’écoute et profiter en retour de la solidarité et de l’indulgence des autres. 

Défier le confinement culturel est à mon sens de prendre conscience que la culture, au temps des confinements et des couvres feux, ne peut plus jouer le rôle qui était le sien dans nos vies et que la vie culturelle ne peut pas survivre uniquement par le biais du numérique à travers nos écrans et que par conséquent l’enjeu de l’éducation, de la formation et des pratiques artistiques et culturelles est plus que jamais prioritaire. 

7. Comment avez-vous pensé la programmation de la rentrée ?

Nous espérons beaucoup de cette programmation post-covid, car nous avons hâte de faire revivre notre théâtre. C’est triste un théâtre qui ne joue pas. Nous avons beaucoup réfléchi avant de nous lancer. Fallait-t-il redémarrer doucement, tester, sonder, ou faillait-t-il au contraire programmer une saison appétissante et haute en couleurs? Nous avons choisi la deuxième solution.

Tout d’abord nous avons reprogrammé, dans la mesure du possible, les quelques spectacles que nous avions été contraints d’ajourner lors du premier confinement. Ensuite, nous avons gardé comme ligne directrice, le canevas qui a fait notre succès: l’éclectisme et la qualité. Toutefois, afin de finir de convaincre nos spectateurs de revenir vite et en nombre, nous avons misé sur des « best-seller ». C’est pourquoi, plus encore que d’habitude, nous avons misé sur des références. Pour la prochaine saison jeune public par exemple, nous recevrons, pour les plus jeunes, des pièces telles que « Pinocchio », » le chat botté « ou encore » La belle lisse poire du prince de Motordu ». Ces histoires sont connues de tous les enfants et parfois étudiées en classe.  Pour les collèges et les lycées, nous recevrons, entre autres, Molière avec l’École des femmes et Roméo et Juliette de Shakespeare. Tout l’enjeu est de trouver des mises en scènes actuelles qui sont fidèles au ton provocateur qui était celui de ces pièces à leurs époques, mais qui parlent aux jeunes d’aujourd’hui. C’est mission accomplie avec ces spectacles qui seront présentés aux scolaires, à travers, entre autre, notre programme « L’école du spectateur », mais aussi en tout public.

Je vous parlais précédemment de nos visite en Avignon pour choisir des spectacles. Et bien , il y avait à titre d’exemple, six versions différentes de l’École des Femmes. Nous avons choisi la plus moderne, la plus osée, mais aussi celle qui nous semblait, sans anachronismes malvenus, représenter le mieux aujourd’hui, ce qu’était le ton de Molière quand il a écrit cette pièce majeure. 

Nous sommes aussi très fier d’avoir réussi à convaincre l’équipe de « La machine de Turing » de venir à Casablanca. Ce spectacle qui a reçu pas moins de quatre Molières, était en tournée mondiale avant la pandémie. Il a fallu beaucoup de chance et de temps pour faire aboutir ce projet vu l’ampleur et le succès de cette pièce. J’aimerais aussi citer Michel Fugain, qui sera cette année notre vedette chanson, et qu’il est bien sûr inutile de présenter. 

Nous donnerons la part belle au théâtre marocain en Darija, puisque nous intègrerons dans notre programmation internationale l’année prochaine, au moins trois spectacles de metteurs en scène marocains. 

Au Studio, nous ne programmons rien que nous n’ayons déjà vu ou que nous ne connaissons déjà. Nous sommes sûrs de la qualité des spectacles que nous proposons et nous assumons notre vision artistique. Voilà peut-être ce qui participe à séduire les spectateurs qui nous font l’honneur et la confiance de nous visiter régulièrement. 

8. Comment accompagnez-vous les jeunes talents désireux de faire de la musique leur métier ?

Depuis la création du Studio, il y a maintenant dix ans, nous avons vu naître, et même peut être fait naître quelques vocations. Plusieurs anciens élèves ont embrassé un carrière artistique en prolongeant la formation qu’ils avaient entamée au Studio auprès de prestigieuses écoles dans le monde. Plusieurs élèves de théâtre sont aujourd’hui à Florent Paris ou Bordeaux, certains ont même fini leur formation et sont aujourd’hui des professionnels. D’autres élèves, musiciens ou vocalises ont suivi un cursus comédie musicale en France ou encore au prestigieux Berklee collège of music aux états unis. Ces anciens élèves gardent un lien très fort avec leurs professeurs et avec le Studio et sont notre fierté.

D’autres ont eu du succès dans de prestigieuses émissions musicales telles que « The Voice » que ce soit dans sa version libanaise ou française.

Notre institution a ceci de particulier que l’école de arts de la scène et le théâtre professionnel quelle abrite sont intimement liés. Aujourd’hui, notre studio d’enregistrement vient, comme un trait d’union parfaire cet outil. C’est face à ce constat, que tous les outils nécessaires à la production et au développement d’artistes sont là, que nous nous sommes dotés d’une nouvelle entité nommée Le Petit Prince Productions. Cette société, filiale du Studio des Arts Vivants s’est donnée pour mission de produire et de soutenir les artistes émergents en lesquels nous croyons. Nous sommes sur le point de terminer la production d’un spectacle musical d’envergure et j’espère avoir l’occasion de vous en parler davantage prochainement. Nous renforçons  aussi en ce moment même différents liens avec le tissus artistique local afin de voir comment soutenir intelligemment, grâce à nos infrastructures et à notre savoir-faire, l’émergence de nouveaux artistes. Nous espérons nous positionner dans le domaine du spectacle musical avec cette première production, mais aussi dans le domaine de la musique et celui du théâtre.

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