C’est un tremblement de terre dans l’univers feutré de la mode de luxe : Prada s’offre Versace pour 1,375 milliard de dollars, scellant une alliance inattendue entre deux maisons iconiques du style italien. Derrière ce rachat, bien plus qu’une opération financière : un pari stratégique audacieux et une ambition claire de renforcer la souveraineté italienne face aux autres géants, notamment français, du secteur.
L’annonce officielle, révélée le 10 avril, a confirmé la sortie de Versace du giron de Capri Holdings, l’entreprise américaine qui l’avait acquise en 2018 pour 2,2 milliards de dollars, dette comprise. Une perte sèche sur le papier, mais surtout le signe d’un essoufflement de la marque fondée par Gianni Versace, qui accumule les pertes ces dernières années malgré ses efforts de relance.
Du côté de Prada, en revanche, la dynamique est bien différente. Alors que l’industrie du luxe montre des signes de ralentissement global, la maison milanaise affiche une croissance robuste, avec un chiffre d’affaires en hausse de 15 % l’an passé, culminant à plus de 6 milliards de dollars. Ce rachat de Versace — sa première grande acquisition depuis les années 1990 — marque donc un tournant décisif dans sa stratégie d’expansion.
Historiquement prudente depuis ses erreurs passées (notamment avec Helmut Lang ou Jil Sander), Prada semble désormais déterminée à diversifier son portefeuille. Avec ses codes flamboyants, son esthétique baroque et son attrait pour la provocation, Versace apporte à Prada une clientèle plus extravertie, complémentaire à l’élégance épurée qui fait la signature de Miuccia Prada. Ce mariage des contraires pourrait bien devenir une force, à condition de respecter les identités fortes des deux maisons.
Patrizio Bertelli, président de Prada, a d’ailleurs tenu à rassurer les aficionados de la Medusa : « Nous continuerons à célébrer et réinterpréter l’esthétique audacieuse et intemporelle de Versace, tout en lui offrant une plateforme solide ancrée dans nos investissements durables. » De son côté, le CEO Andrea Guerra parle d’un « long voyage qui exigera de la rigueur et de la patience ».
Cette union marque également un geste symbolique fort : celui de réaffirmer la place de l’Italie dans le concert mondial de la mode, dominé depuis trop longtemps par les mastodontes français LVMH et Kering. À l’heure où les conglomérats dictent les règles du luxe, voir deux emblèmes transalpins s’allier pour créer un pôle de puissance à l’italienne est un coup d’éclat aux accents patriotiques.
Versace rejoint donc une maison mère solide et bien ancrée, prête à réécrire un nouveau chapitre de son histoire. Reste à voir si la magie opèrera — et si la fusion saura préserver l’audace créative de Donatella tout en capitalisant sur la discipline stratégique de Prada.