Le nu dans la peinture occidentale

by La Rédaction

« L’histoire de l’art est celle de la réflexion de l’homme sur lui-même. L’homme visible, authentique, pur, est l’homme nu »  Ulf Küster.Par Hajar Moussalit El Alaoui

Le corps nu accompagne la naissance de l’art. Les premières représentations du corps de l’homme nous proviennent des périodes paléolithiques, les plus anciennes périodes de la préhistoire. L’homme ayant pris conscience de la vanité de son existence, s’est engagé dans le processus de création de sa propre image conjurant de cette manière son angoisse primordiale, sa disparition. Aussi, peindre le corps, le graver ou le sculpter répond-il à l’obsession qu’il a de laisser des traces de son passage.
De surcroît, la représentation du corps retrace non seulement l’histoire du personnage représenté, de ses états d’âme, de ses blessures et de ses exaltations, elle ne dit pas seulement la présence effective ou elliptique de ce même personnage, de ses particularités ou de ses convictions, la représentation du corps se fait réceptacle d’une pensée ou d’une croyance collective, elle exhale une sensibilité et nous raconte en image, l’esprit d’une époque. En somme, elle donne à voir le corps de tout un groupe social.
Ainsi les œuvres picturales rupestres peintes sur les murs de grottes, sculptées ou gravées, nous ont toujours enseignés du rapport de l’homme à la fois à son propre corps et au corps collectif. La signification des représentations de l’homme de la préhistorique était de l’ordre du surnaturel et les formes humaines conçues par le biais de la sculpture ou de la peinture étaient usitées pour l’incarnation des dieux et des esprits. Les nus des femmes ou l’accentuation des seins, du ventre et du sexe en dépit des détails du visage et autres partie du corps étaient là pour mettre en relief l’aspect fertile de la femme, une manière de s’attirer la fécondité. Quant aux nus masculins, l’importance est accordée au phallus représenté d’une manière exagérée.
Si la femme a été la plus représentée à la période préhistorique, le nu des hommes a été privilégié à l’antiquité gréco romaine. Considéré comme sacré, le corps est étudié dans son anatomie la plus méticuleuse, dans ses proportions les plus exactes et dans ses mouvements les plus réalistes. Le sexe masculin était librement exposé contrairement à celui de la femme qui devait être couvert au regard du public. Les représentations antiques des formes humaines ont atteint une perfection telle,  qu’elles étaient considérées comme la référence des représentations artistiques des époques qui vont suivre.

Le corps médiéval ou l’érotisme indocile
Les représentations artistiques du moyen âge étaient liées directement à ce mode de pensée religieuse. Conscient de l’importance de l’image dans l’enseignement des fidèles illettrés, l’ordre ecclésiastique tenait à montrer dans le corps nu, l’inscription de l’horreur de l’homme, sa morbidité physique, le miroir de son péché originel si bien qu’il commença à passer des commandes aux artistes, en fresques, en peinture et en miniatures pour orner ses églises et ses manuscrits religieux.
Les artistes, légitimant leurs intentions créatrices par cette même fin religieuse, se sont mis à produire un grand nombre de nus et à représenter les corps humains en accentuant leurs aspects vils et abjects. Toutefois et contre toute attente, ces représentations contenaient une charge érotique considérable, trahissant ainsi le but dessiné par l’église médiévale, à savoir l’instruction des fidèles à propos du corps pécheur et partant, « Le moyen âge donna sa place à l’érotisme dans la peinture : il le relégua dans l’enfer » (Georges BATAILLE)
Le nu à la Renaissance est devenu sujet à part entière. Les recherches des maitres ont contribué à améliorer les représentations du corps. L’homme de Vitruve, de Léonard de Vinci est l’exemple type des recherches anatomiques des artistes de l’époque. Ces deniers n’hésitaient pas à se représenter nus dans une démarche d’examen des détails de leurs propres corps à l’instar du peintre Albrecht Dürer, le premier à s’être auto-représenté nu en 1503. Les corps représentés à la Renaissance reflètent d’une part : le frémissement de la vie des dieux, des nymphes, des néréides, des héros dont les nus exaltent un aboutissement inégalé, se faisant sujets de prédilection des artistes de la Renaissance. Les écrits de l’antiquité qui ont représenté les relations entre dieux et déesses ou entre déesses et héros et qui ont décrit leurs exaltations et jeux érotiques, ont inspiré les artistes de la Renaissance si bien que ceux-ci ont accouru à représenter avec une précision et un perfectionnisme, la Nymphe et le Berger de Titien, Psyché surprend l’amour de Jacopo Zucchi, Venus et Hadonis de Cornelus Van Haarlem, Séduction d’Olympia de Jupiter de Giulio Romano … des œuvres dont la représentation des corps de divinités signe la nouvelle esthétique de la Renaissance.
Le corps entre liberté maniéristeet passion baroque
Dans le maniérisme, le corps se délivre de toute contrainte ou considération religieuse, de toutes les écoles qui l’ont précédé, le maniérisme est le style qui offre le plus de liberté dans les représentations du corps allant jusqu’à à exagérer les formes et à les distordre. De ses œuvres maniéristes, se dégage un érotisme dans tous ses aspects. Il va chercher ses sujets dans l’hermaphrodisme (Salmacis et Hermaphrodite), l’auto-érotisme (Narcisse de P. de Tyard attiré par sa sœur ou sa propre ombre), le végétalisme (Artaxerxés amoureux d’un platane auquel il s’unit sexuellement), l’homosexualité etc. Le corps baroque quant à lui est suggéré, il séduit par l’illusion, il n’est pas exposé dans sa nudité, il est voilé, occulté, mais promet et invite à un dévoilement. Le personnage amant aspire à posséder le corps de l’autre, une qualité qui constitue l’essence de la passion baroque, une passion qui frôle la violence. Les artistes baroques adeptes du «sacrifice» dans l’amour, prennent comme modèles, les martyres : Sisyphe Tantale et Ixion constituent le trio de référence aux adeptes du Baroque ou encore Actéon dévoré par ses propres chiens, symbole de la férocité des désirs.

Le corps du Rococo, libertin et ténébreux
« Le style rococo flamboie analyse Jean Starobinski, à petit feu, il pétille, il féminise les images mythologiques de l’autorité » . Ainsi le corps de la femme est très présent dans les tableaux du rococo, il incarne l’amour et les plaisirs, baigne dans le luxe et la richesse. Le désir est divinisé, se laisse exprimer librement et marque son triomphe des censures de la morale et de la religion. Les fêtes qui rassemblent des gens de la noblesse ou de la haute bourgeoisie sont un endroit propice à la mise en œuvre de différentes stratégies de séduction. Ce corps souvent érotique a été représenté par Watteau, Boucher et Fragonard.
Les décors picturaux sont gais, exotiques ou champêtres, imprégnés de luxe et d’objets de jouissances, ce qui exprime le goût du raffinement de la société qui passe son temps dans des fêtes galantes (Embarquement à Cythère de Watteau). De la mythologie, le corps continue de s’inspirer dans ses thèmes et ses personnages, Diane au bain ou l’enlèvement d’Europe de Boucher en sont quelques illustrations.

Le corps néoclassique, le nu au service de la vertu
La découverte des fouilles à Herculanum en 1738 et à Pompéi en 1748 enfouies sous les cendres après l’éruption du Vésuve en l’an 79, a favorisé le retour à l’antiquité grecque et latine. Les artistes néoclassiques y ont trouvé l’inspiration idéale. «Le beau idéal» antique a joint à la beauté physique celle de l’esprit. Le pictural néoclassique regorge de nus. Ils sont sculptés dans les jardins publics et les grandes places, il faut toutefois noter que cette exposition est extrêmement surveillée, ce qui dissuade tout regard malveillant. Le nombre de nus masculins dépasse celui de nus féminins, les vertus des jeunes guerriers avaient besoin d’être mises en relief et les artistes néoclassiques avaient besoin d’éduquer le peuple et développer son sens moral et civique. Cependant, si les nus étaient fortement représentés, ils ont été démunis de toute charge érotique. D’abord, la représentation de personnages empruntés de l’antiquité permet une distanciation dans le temps, les nus antiques étaient donc naturellement représentés vu qu’ils étaient dépersonnalisés à cette époque de l’histoire. Le nu ne concerne donc pas le peuple. Ensuite, les poses ne sont plus dans l’alanguissement, les postures sont plutôt hiératiques. La perfection anatomique permet une contemplation esthétique et non plus sensuelle. Enfin les nus sont drapés et les organes génitaux cachés.

Pierre de Cortone, Rapt des Sabines.

Le corps moderne ou le réceptacle de la pensée du fragment
Le XIXème siècle, l’époque de l’éclatement des courants esthétiques a vu le corps vaciller entre, tantôt le maintien des règles et canons classiques tantôt le désir de s’affranchir des contraintes esthétiques. Le romantisme qui exalte les sentiments et les passions marque le début de l’émancipation des formes et des sujets et se focalise sur les contrastes de couleurs et de lumières pour un rendu plus sensuel dans les nus. Le romantisme se tourne aussi vers l’exotisme ouvrant la voie à une de ses variantes, l’orientalisme et donnant naissance à un thème considéré majeur du XIXème siècle : L’odalisque. (La Grande Odalisque, le Bain turc, l’Odalisque à l’esclave d’Ingres, etc.)
L’impressionnisme, courant qui a le mérite d’une vraie revisitation du corps, a supprimé les bords et les contours du corps et a privilégié les touches visibles donnant ainsi une vibration et une vitalité aux corps. Le Réalisme en matière de représentation du corps était le plus scandaleux. L’origine du monde qui a suscité les révoltes et les indignations aussi bien parmi le public que parmi les artistes, continue à faire autant de bruit à nos jours. Le Naturalisme quant à lui, s’intéresse à la vie quotidienne des ouvriers et des paysans et peint la physionomie et l’apparence physique des personnages représentés. Le corps nu n’est plus celui d’un dieu ou d’un héros antique. L’artiste représente désormais des personnages appartenant à son époque. Le déjeuner sur l’herbe ainsi que l’odalisque représentent le corps nu dans deux postures, l’une allongée et alanguie, l’autre assise et fixant d’un regard insolant et imposant le spectateur, deux exemples de tableaux qui ont suscité le refus et les contestations de la part du public et des critiques.

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