Lamia Chraibi, productrice

by La Rédaction

“ Chaque film est une aventure en soi  ”

Le métier de productrice n’est pas de tout repos. Choisir un projet, l’accompagner, le défendre, trouver un financement tout en gérant de nombreux films à la fois. Production cinéma, les coulisses avec la brillante Lamia Chraïbi. 

En quoi consiste le métier de productrice ?

Le plus beau métier du monde !
Blague à part, je fais le métier qui me va le mieux. 

Globalement, cela consiste à accompagner les créateur.trice.s dans l’expression d’une idée de la meilleure manière et de permettre au projet de trouver le financement essentiel à sa création. Cela allie l’expression artistique et la stratégie de financement. Le rêve et le concret. Le fond et la forme. Comme le dit si bien Victor Hugo « La forme c’est le fond qui remonte à la surface ». Et bien mon travail est de donner la forme à un projet pour être au service du fond qui est le produit artistique… 

Contrairement à l’idée répandue, il ne s’agit pas de financer un film de sa propre poche, autrement, seules des personnes aisées seraient producteurs. 

Concrètement, cela consiste à repérer le projet et le porteur du projet qu’on a envie d’accompagner pendant 4 ou 5 ans. C’est le temps moyen de faire aboutir un projet. Personnellement, j’ai besoin d’être impliquée depuis le début du processus de création afin d’y amener ma part. Les échanges entre le/la réalisateur.rice et moi, sont la partie la plus stimulante de mon travail. Ensuite, il faut définir une stratégie pour réunir les fonds nécessaires au financement du projet. Cela dépend de plusieurs paramètres :
la nature du projet, le sujet abordé, ses ambitions qualitatives, sa nationalité, les lieux de tournage, la temporalité… certains projets peuvent être intéressants, mais leur financement peut s’avérer être un casse-tête si ce n’est pas le bon timing

Comment êtes-vous devenue productrice ?

Le cinéma c’est avant tout une passion. Tout part de cette joie immense de se retrouver dans une salle sombre et de voir les images défiler pour finir dans cette introspection profonde qui nous laisse songeurs après un bon film ou qui nous fait voir le monde différemment. C’est vers cet idéal-là que je tends, tout démarre d’une impulsion, celle de vouloir montrer le monde différemment. Nous avons besoin de rêver pour aspirer à un monde meilleur ou de voir la réalité dans les yeux pour un effet cathartique ou encore de nous détendre devant un univers féerique ou encore d’angoisser face à des peurs irrationnelles pour mieux les confronter dans la vraie vie et c’est bien évidemment là, que réside la force du cinéma. Ça démarre de cette magie-là. Mon parcours professionnel est plutôt usuel ; après un DESS en management de l’audiovisuel, j’ai travaillé 10 ans en France dans différentes structures de production parisiennes, puis il y a eu ce tour du monde qui m’a donné envie de rentrer au Maroc, pour lequel j’ai eu un nouveau regard. Après 2 ans dans différentes sociétés de production marocaines j’ai créé ma propre structure La Prod en 2007 et par la suite, une deuxième société française cette fois-ci Moon A Deal Films en 2011. 

Est-ce un métier reconnu à sa juste valeur au Maroc ?

Oui et non. Oui, car ça rapporte son lot de notoriété et d’accomplissement personnel et non, car malheureusement nous faisons partie d’une industrie qui, quant à elle n’est pas très développée…. De fait, votre première question est tout à fait à sa place pour comprendre ce que veut vraiment dire le métier de producteur.rice, car localement nous sommes face à une incompréhension de ce qu’est ce métier, ce qui rend la reconnaissance très difficile. Je suis forcée de constater que cette reconnaissance se fait plus à l’étranger, où le métier et son importance dans le processus créatif et matériel d’un film est bel et bien connu et reconnu. 

Le sens noble du métier n’est pas compris par tous. Le producteur dans le sens dénicheur de talent, visionnaire, qui investit sur un scénario qui plaît, mais qui a besoin d’être rafistolé et retravaillé existe peu ou pas pour le reconnaître à sa juste valeur. C’est un travail de longue haleine. Il faut accompagner les auteurs dans cette longue démarche d’écriture et être patient. Il faut avoir le souffle pour pouvoir fabriquer de belles et grandes choses.

Mon objectif au final, c’est de donner naissance au plus beau bébé au monde.

Il y a beaucoup de flous quand on parle de produire ; entre la production exécutive (qui relève plus de la prestation de service), et la production créative d’un projet.

Vous l’avez compris, je me positionne dans la deuxième partie. Il s’agit d’un réel accompagnement artistique. Car l’auteur a besoin d’un dialogue, d’un échange de conseil et d’encouragement.

Nombreux sont les réalisateurs qui, ne trouvant au Maroc que des producteurs avec une approche mercantile, finissent par s’autoproduire.

Ceux qui ont une approche purement économique et/ou trop pragmatique, répondent à des appels à projets de télévisions et reçoivent des scénaristes ou réalisateur.rice.s contents de faire le job, mais sont souvent déçus de ne pas être accompagnés… Car certains producteurs ne lisent pas du tout le scénario et sont là pour faire des économies au détriment du projet .

Leur projet dans ces cas-là, n’a qu’une valeur marchande qui occulte la part artistique. C’est finalement cette dernière partie qui reste essentielle pour le spectateur qui au final se sentira arnaqué…

Quelles sont les principales difficultés d’une productrice ?

À un niveau personnel, c’est un métier prenant, émotionnellement et physiquement. Quand on vit de sa passion, la vie personnelle et professionnelle se retrouve mêlée l’une à l’autre. Être producteur, c’est avoir plusieurs casquettes et savoir naviguer en eaux troubles. Gérer son stress, c’est un peu le pain quotidien des gens qui travaillent dans le cinéma. 

Mais les difficultés se situent aussi à un niveau plus large, la culture d’une manière générale est perçue chez nous comme une activité non essentielle, et cela avant même l’arrivée de la pandémie. La question qu’il faut se poser, aujourd’hui, c’est a-t-on envie de promouvoir une culture propre à nous ? Ou allons-nous continuer à nous nourrir des cultures des autres ? À moyen et long terme, cela aura peut-être pour conséquences de perdre notre identité en faveur d’identités importées, mais dans lesquelles on ne se retrouve pas. La réponse ne peut donc être que politique, ce qui permettra de mettre en place un système qui prendra à bras le corps la mission d’encourager l’expression d’un imaginaire collectif marocain incluant toute la diversité de notre société. 

L’idée est de réfléchir structurellement ; comment améliorer un cinéma non pas en soignant les symptômes, mais en allant à la base de la maladie ; la maladie est qu’on ne peut pas reléguer cette vision à un organisme composé de fonctionnaires. Des fonctionnaire bien intentionnés certes, mais encore faut-il avoir le talent, le savoir-faire parce que le cinéma est un métier d’ingénieur, il faut des ingénieurs du son, d’image, de scénario, de mise en scène, de direction artistique… bref beaucoup de savoir-faire, de compétences très précises cumulées pour un objet d’art aussi complexe qu’un film. 

On ne peut pas s’improviser lecteur de scénario comme on ne peut pas s’improviser chef opérateur, ou ingénieur du son, ou réalisateur ou scénariste… d’où l’intérêt de professionnaliser, c’est-à-dire mettre plus de gens de la profession, car un responsable politique ne peut être un bon lecteur de scénario. 

Comment choisissez-vous un projet à accompagner ?

Cela varie d’un projet à un autre… Mais l’essentiel, c’est que je puisse me retrouver dans le projet pour y apporter quelque chose. Si je sens que je n’ai pas ma place dans le projet, je ne le prends pas. Le sujet, le traitement, l’intention, la sensibilité, le/la réalisateur.trice… Autant dire que les raisons sont multiples. Il faut que ça puisse me parler à plusieurs niveaux, et cela dépend de mon inspiration et mes sensibilités du moment. Ensuite, il y a toute la partie relationnelle avec le.la réalisateur.rice, il est essentiel que l’entente et la compréhension soient au rendez-vous.

Chaque film est une aventure en soi. Une histoire d’amour passionnée. On ne peut jamais savoir si ça va marcher, mais tout comme les histoires d’amour réussies, avec beaucoup d’efforts et de travail on arrive souvent à un résultat dont on est fier au final.

Quelles sont les principales qualités d’une bonne productrice ?

Un.e producteur.rice est d’abord un esthète, qui aime le cinéma et les arts en général. Qui est partageur, et qui n’a pas forcément de velléité de créateurs, car c’est un autre volet, les gens cumulent les fonctions : producteur, réalisateur, scénariste, acteur, comptable, caissier… et ce n’est pas toujours la bonne démarche ; on n’a qu’une seule énergie et il faut la mettre là où c’est plus important.

Le premier talent est un talent humain ; la capacité d’écoute, de s’enthousiasmer et savoir dire les choses, de guider quelqu’un qui peut être étourdi par son ego, sa propre jouissance d’avoir fini un scénario, son propre contentement. 

Le cinéma est un travail d’endurance qui a besoin de souffle, de patience et la patience se double de passion qui est fondatrice pour la fabrication des films. Il faut aussi être prêt.e à échouer sans perdre la force de se relever tout en apprenant de ses erreurs. Comme tous les métiers, il faut aussi l’expérience nécessaire et donc connaître les rouages. Comme tout maître d’orchestre un. e producteur.rice doit faire preuve d’audace tout en restant exigeant.e autant avec soi qu’avec les autres. 

La flexibilité intelligente, car au Maroc nous en sommes encore à un travail artisanal. La patience qui est une qualité extrêmement rare, car à cette ère du numérique nous avons l’impression que tout doit venir tout de suite… 

Quel est aujourd’hui le cursus pour faire votre métier ?

Il n’y a pas de cursus type pour devenir producteur.rice. Tout passionné de cinéma et avec un bagage d’étude en droit, économie, gestion, ou commerce… des matières essentielles pour aller vite dans la compréhension du domaine… 

Il y a bien évidemment l’ESAV qui propose des programmes à destination des futurs réalisateurs, techniciens et dont les formations sont très bonnes comme base pour devenir producteur. 

Mais je dirai que les ingrédients essentiels c’est la générosité, la cinéphilie, la passion pour toute les formes d’art et la curiosité… 

La production est un métier qui va à certaines personnalités, c’est un métier d’accompagnement et la gestion de son ego est essentielle, car il s’agit d’être au service de l’auteur.

   

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