Aziz Daouda : « Rendre le sport aux sportifs »

by La Rédaction

Il fut le Directeur technique de l’athlétisme à l’époque bénie où le Maroc dominait le demi-fond mondial et le 400 mètres haies féminin. Il découvrit et coacha, à des degrés divers, Saïd Aouita, Nawal Moutawakil, Hicham El Guerrouj et Nehza Bidouane. Il fit cela en introduisant dans l’athlétisme marocain un professionnalisme jusque-là inédit dans le sport national. C’est dire si l’actuel Directeur technique de la Confédération Africaine d’Athlétisme est la personne la plus à même d’analyser le fiasco de nos athlètes aux JO de Londres. C’est ce bilan qu’il dresse dans l’interview qui suit, étendant son expertise au football et au sport en général. Sans langue de bois et avec la rigueur et la clairvoyance qu’on lui connaît.  Par laurence oiknine & OMAR ANOUARI

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 La crise du football national

Comment expliquez-vousles mauvaises performances de notre équipe nationale ? Compte-tenu de la qualité des joueurs, on attendait autre chose.

La performance sportive ne doit jamais être dissociée de son substrat culturel. Les joueurs issus de la diaspora sont bien entendu marocains, mais de la deuxième ou de la troisième génération. Ils ont un lien de sang, administratif, affectif avec le Maroc… mais ont-ils un lien culturel avec ce pays ? Si, au moins, tous avaient été formés dans un même pays, la France ou la Belgique par exemple, ils auraient entre eux un lien linguistique et culturel et auraient été formés de la même manière au football. Or, beaucoup parmi eux ne parlent pas les langues des autres. Dans l’histoire humaine, on n’a jamais gagné de guerre avec des mercenaires ; « mercenaire » pas au sens péjoratif, mais au sens d’armée cosmopolite. Le fait que cette équipe soit composée de joueurs de la diaspora ne tient pas compte des fondamentaux de la performance sportive. On pense que le football est universel, mais ce n’est pas le cas : le jeu est universel, mais il n’y a pas deux régions du monde qui jouent de la même façon. Aujourd’hui, toutes les équipes nationales se cherchent dans leur propre culture. L’Espagne l’a compris plus vite que les autres et elle est championne d’Europe et championne du monde. Là-bas, tous les joueurs sont formés de la même façon, à la manière espagnole. Dans les années 50 et 60, nous avions une façon marocaine de jouer au football : nos joueurs ont brillé à travers le monde parce que, comme on n’avait pas encore la télévision, ils ne cherchaient à copier personne. Arrivés en Europe, ils faisaient des merveilles. Au moment où on a commencé à importer des entraîneurs qui nous ont imposé une façon de jouer, on s’est perdu. Aujourd’hui, il n’y a plus un profil de joueur marocain. Ça commence heureusement à repartir grâce à des entraîneurs marocains, à Tétouan par exemple.

La responsabilité des échecs successifs tient donc beaucoup au choix de Gerets ?

Quand quelque chose ne marche pas au Maroc, on fait appel à des étrangers. Des entraîneurs de toutes les nationalités sont passés par ce pays, mais aucun n’a donné de résultat. En sélection, vous pouvez faire venir quelques personnes pour amener des techniques, des méthodes, mais pas les faire intervenir directement. Même le grand Fabio Capello a échoué à la tête de l’équipe d’Angleterre ! Certains pays l’ont compris depuis longtemps : en France et en Italie, les sélectionneurs sont toujours français et italiens. Comment peut-on appeler l’équipe du Maroc « équipe nationale » quand l’entraîneur est étranger, les joueurs de différentes provenances, qu’ils jouent dans des clubs étrangers et se réunissent en stage à l’étranger ?

La nomination de Rachid Taoussi comme sélectionneur doit vous réjouir.

Je suis triplement content. Content que les instances du football aient compris qu’on ne peut faire quelque chose qu’avec un Marocain. Content que Rachid soit un lauréat de l’Institut Moulay Rachid. Content parce que c’est un ami. J’espère juste qu’on fera preuve d’autant de patience avec lui qu’on l’aurait fait avec un étranger. Quand un étranger n’a pas de résultat, on dit toujours : « il faut lui laisser le temps » ; quand un Marocain perd un match, on le limoge le soir même…

Doit-on également miser sur des locaux pour composer l’équipe ?

Certainement. On doit avoir une ossature constituée de joueurs qui évoluent au Maroc, renforcés s’il le faut par trois ou quatre joueurs de la diaspora qui ont fait le choix de jouer pour l’équipe nationale, comme Belhanda par exemple. Il faut comprendre qu’une équipe n’est pas une somme de talents, mais plutôt un ensemble homogène et harmonieux. Lors des tournois caritatifs qui réunissent les plus grandes stars du monde, ça joue mal parce que les joueurs sont sortis de leur contexte. C’est ce qui arrive à cette équipe du Maroc : elle manque de liant. Quand Belhanda joue pour Montpellier, il est magique chaque fois qu’il touche le ballon. En équipe nationale, il est anodin, parce que le système le rend ainsi. Regardez la dernière rencontre entre l’Italie et Malte : les Italiens ont peiné contre des joueurs qui évoluent dans un championnat qui n’est pas meilleur que celui du Maroc. Mais avant chaque rencontre, leur sélectionneur les réunit pendant toute la semaine. Chaque fois que le Maroc a obtenu de bons résultats, comme en 1976 où nous avons remporté notre unique coupe d’Afrique, nous avions agi de la même façon. Des locaux réunis en concentration quatre jours par semaines pendant longtemps. Faria aussi a procédé de cette façon.

Comment va réagir le public si on écarte les stars de la sélection ?

Le public veut des résultats. Si j’étais le décideur à la fédération, pour le prochain match contre le Mozambique, je prendrais une ossature soit des FAR, soit du Raja, et je demanderais à l’entraîneur d’ajouter, en cas de besoin, trois ou quatre joueurs évoluant à l’étranger pour renforcer l’équipe. Le Mozambique n’est pas une foudre de guerre : on peut le battre avec n’importe quelle équipe de première division marocaine. Après ce match, le sélectionneur aura trois mois pour travailler tranquillement. Et s’il a besoin de réunir les joueurs pendant toute une semaine pour les faire travailler ensemble, il doit le faire. Je ferais comprendre aux présidents de clubs que leurs joueurs, en devenant internationaux, prennent de la valeur. Tous les joueurs marocains qui ont fait une grande carrière se sont révélés en équipe nationale.

Les salaires de Gerets, d’Ibrahimovic et de Ronaldo ont fait couler beaucoup d’encre dernièrement. Que pensez-vous des salaires mirobolants qui ont cours dans le football ?

Je ne sais pas si aujourd’hui on peut parler de sport pour désigner le football de haut niveau : c’est plutôt du spectacle qui utilise le sport comme moyen d’expression. Le spectateur et la télévision paient pour y assister, il est donc normal qu’en retour, celui qui monte ce spectacle et celui qui s’y produit perçoivent une partie du fruit engendré. Ces footballeurs ne reçoivent pas un argent qu’ils ne méritent pas : si on le leur donne, c’est qu’ils en rapportent beaucoup plus. Pour moi, c’est légitime. En athlétisme, à la fin des années 90, on a milité auprès de la fédération internationale pour que les athlètes touchent une part des recettes. Nous avons négocié et sommes arrivés à des sommes importantes. A l’époque, l’IAAF versait déjà à un médaillé d’or 60.000 dollars.

  

La faillite de l’athlétisme aux JO

Après le désastre des JO de Londres, quel bilan dressez-vous de l’état de l’athlétisme marocain ?

On juge un pays sur le nombre de médailles remportées, mais aussi sur la prestation globale de l’équipe. A chaque occasion, la fédération internationale dresse un classement des pays en fonction du nombre de qualifiés dans les épreuves. Être bien classé signifie qu’on possède des jeunes qui ne sont pas encore au niveau d’obtenir des médailles mais qui constituent la relève. Quand votre classement baisse, c’est qu’il y a un déclin. Le Maroc a remporté pratiquement tous les titres de championnat du monde de junior sur 1.500 mètres, sauf ces dernières années. Qui a gagné cette année ? Un Marocain naturalisé qatari.

On lui a donné davantage de moyens pour s’entraîner correctement ?

Je ne sais pas. Mais je ne pense pas qu’un Marocain choisisse de courir pour un autre pays s’il a des conditions favorables ici. A l’époque où je travaillais à l’Institut National d’Athlétisme, les athlètes et l’encadrement étaient acculés tous les jours à inventer des choses, à progresser, à devancer les autres pays, parce qu’eux aussi s’entraînent… On ne part pas aux Jeux Olympiques la fleur au fusil, on y va pour livrer une guerre ! Amener un athlète à être en forme le jour de la finale, lui trouver la bonne tactique de course, le mettre dans les bonnes conditions psychologiques, ce n’est pas facile. Tout ça, c’est un savoir-faire. Et au Maroc, on sait faire. Nous avons été bons pendant un quart de siècle.

Comment se fait-il que nos athlètes handisport aient, eux, brillé cette année ?

Parce que l’athlétisme en handisport n’a pas encore été pollué. Maintenant, avec le succès, il risque de l’être. Parce que le succès ne vous amène pas que du bonheur. Au moment où l’athlétisme marocain n’intéressait personne, nous avons pu travailler tranquillement. A partir du moment où il est devenu un raccourci pour les media, pour la politique, pour l’enrichissement, tout le monde a voulu s’occuper d’athlétisme. Si bien qu’aujourd’hui, les gens de l’athlétisme sont dehors, d’autres sont à l’intérieur. Les professionnels de ce domaine ont commencé par perdre des clubs, puis des ligues, puis la fédération. Quand dans un conseil fédéral il n’y a pas un seul pratiquant, pas un seul cadre formé pour, c’est considérer que le sport peut être géré par n’importe qui. Alors que le sport est un métier, qui se décline lui-même en dix-sept autres métiers : l’entraîneur, le médecin, le kinésithérapeute… Et la performance sportive est le résultat du travail de ces dix-sept intervenants. Ce n’est pas pour rien que nous avons eu des records du monde qui tiennent depuis de nombreuses années. Les décideurs doivent comprendre qu’il faut capitaliser sur ce qui marche.

L’expérience internationale nous le montre pourtant : les pays qui ont de bons résultats au niveau sportif sont ceux où les fédérations sont indépendantes.

Ici, on y voit un raccourci : vous voulez voir votre tête dans le journal tous les jours ? Prenez la présidence d’une fédération ou même d’un club ! Dans la législation marocaine, le sport est un service public et les fédérations ne sont que des légataires de l’Etat. Or, on considère hélas que le monde sportif n’est pas mature, ce qui est faux. Pire encore : on considère que le sportif n’est pas mature, qu’il est fait pour courir, sauter, taper dans un ballon, mais pas pour prendre la tête d’un club, une ligue ou une fédération.

Ceci dit, il y a des cycles en sport. On a vu cette année l’escrime française s’effondrer car les anciens formateurs sont partis à la retraite. N’est-on pas victime d’une fin de cycle ?

Effectivement, il y a des cycles si le système s’arrête, s’il n’est pas basé sur une réflexion et une stratégie continues. Aujourd’hui, nous savons qu’il nous faut former des cadres pour dans dix ans : si on ne le fait pas, on hypothèque l’avenir. Au Maroc, à un moment donné, une ministre a pris la décision de fermer l’Institut Moulay-Rachid qui était le pourvoyeur en cadres du sport national. On en ressent déjà le préjudice aujourd’hui, on le sentira davantage hélas quand tous les hauts cadres qui y ont été formés partiront à la retraite.

Quelle raison avait-elle de fermer l’institut ?

Aucune raison logique. La seule raison aurait été que le Maroc soit arrivé à saturation en matière de cadres. Or, nous sommes toujours en quête de cadres formés dans tous les domaines. De plus, c’est un secteur pourvoyeur d’emplois. Un diplômé de l’Institut Moulay-Rachid chômeur, ça n’existe pas. Depuis Moncef Belkhayat, l’Institut a ouvert à nouveau, mais pas dans les mêmes conditions. J’espère que M. Ouzzine va le faire repartir dans la logique qui était la sienne : former des cadres avec une méthodologie bien précise, des intellectuels du sport capables d’imaginer des solutions adaptées.

L’Institut National d’Athlétisme a-t-il changé depuis l’époque où vous le dirigiez ?

Je ne sais pas parce que je n’y suis plus allé depuis près de six ans. Ce que je sais, c’est que quand je passais dans le couloir, c’était le silence absolu. On m’a traité de dictateur, mais le sport est comme ça : si vous n’en respectez pas les codes, vous ne parvenez à rien. Regardez Usain Bolt. Vous le voyez pendant la compétition souriant, faisant le pitre avec son beau maillot. Mais pendant l’entraînement, il court jusqu’à en vomir avec un vieux chandail et de la boue jusqu’au genou ! Si, à son arrivée à l’Institut, tu offres trop vite à un gosse des conditions disproportionnées, tu l’incites à la paresse. A l’époque, il y avait deux catégories de service : un restaurant VIP et un autre pour les athlètes de base.

Le premier jour, le gamin arrivait avec son plateau, un peu perdu… Et puis, il remarquait un moucharabieh et qui voyait-il de l’autre côté ? El Guerrouj, Bidouane et les autres, les « grands ». A l’époque, ils étaient vingt-deux : il fallait mériter d’être là-bas. La nourriture était la même mais d’un côté tu avais un self-service, et de l’autre, tu avais ta table, tu étais servi et tu avais le droit d’avoir des invités. Le gamin commençait à rêver. Et là, tu lui expliquais : « ils sont passés par là où tu es. Si tu travailles autant qu’eux, tu arriveras là où ils sont ». Aujourd’hui, les athlètes ont le droit de rentrer chez eux le soir et les entraîneurs ne sont plus autorisés à vivre avec eux…

Pourquoi l’Éthiopie et le Kenya réussissent-ils mieux que nous aujourd’hui alors qu’ils n’ont quasiment pas d’infrastructures ?

Parce qu’ils ont capitalisé sur une expérience. Puisqu’elle a réussi, ils continuent avec la même équipe et la même façon de travailler qu’ils améliorent constamment. Nous, nous avons trouvé le moyen de casser ce que nous avions. Au moment où nous avons mis sur pied une façon de travailler et qu’elle a commencé à porter ses fruits, nous avons commencé à vouloir toujours plus. Ce qui est légitime. Mais à force, nous avons fait exploser nos structures.

Mais pour un petit pays comme le nôtre, décrocher deux à quatre médailles à chaque JO, c’est déjà énorme…

Et comment ! En athlétisme, quand vous glanez deux médailles d’or, vous êtes dans les 10 premiers ; avec 3 médailles, vous êtes dans les cinq premiers ; avec 4 médailles d’or, vous êtes dans les trois premiers au monde ! Notre point fort, ce sont les moyennes distances : vous avez le 800 mètres, le 1.500 mètres, le 5.000 mètres, le 10.000 mètres, le marathon, le 400m haies et le 3.000 mètres steeple. Vous multipliez ces épreuves par deux, hommes et femmes, et ça vous fait quatorze épreuves. Être bon sur quatorze épreuves, c’est déjà pas mal !

Que doit-on faire pour que la machine reparte ?

Les décideurs politiques doivent reconnaître qu’il y a des compétences au Maroc. Je suis au regret de dire que dans mon pays, on ne reconnaît pas l’excellence surtout quand elle est nationale. Ainsi, au retour des championnats du monde de 1999, tout ce qu’on a trouvé à faire, c’est de recevoir les athlètes avec tous les honneurs en écartant les entraîneurs. Aucun sportif ne se fait lui-même : il y a toujours besoin d’un encadrant. Or, cet entraîneur qui a fait le sacrifice de sa vie, de sa famille, de ses enfants pour les enfants des autres est mis de côté le jour de gloire. Maintenant, il faut dépassionner le débat et être humble. Il y a eu un faux pas qu’il faut corriger, et vite. Parce que si on s’obstine dans la même voie, on enterre l’athlétisme marocain. Aujourd’hui, on devrait connaître ceux qui seront champions olympiques dans quatre ans. Est-ce qu’on les a ? Au vu des résultats de Londres et des derniers championnats du monde juniors et cadets, ce n’est pas le cas. Qu’est-ce qu’on attend ? Une nouvelle catastrophe à Rio ? On aura perdu dix ou quinze ans. Pendant que les autres pays, eux, continuent de travailler. Aujourd’hui, il faut qu’on donne la possibilité aux compétences nationales de se réunir et de trouver les solutions immédiatement.

Qui sont ces compétences selon vous ?

Les cadres qui ont été écartés. Et toute cette génération d’athlètes, elle n’a rien à nous dire ? Je les connais : ils ont tous quelque chose à dire et à donner. Qu’est-ce qui est préférable ? Demander à El Guerrouj, Bidouane, Hissou ce qu’il faut faire et les aider à faire, ou prendre des gens qui n’ont rien à voir avec le sport et qui vont décider à tort et à travers ? Qui est le président du Comité Olympique kényan ? Le premier médaillé olympique de ce pays, Kipchoge Keino. Qui a dirigé les Jeux de Londres ? Sebastien Coe, le rival de Saïd Aouita…

Elle est là l’explication du déclin ? Avoir placé à la tête de ce sport des gens qui n’ont rien à voir avec lui ?

On a eu, dans le passé, des présidents à la fédération qui n’avaient jamais pratiqué l’athlétisme. Ils ont tout de même fait du bon travail parce qu’ils ont su s’appuyer sur des gens compétents. M’hamed Aouzal, par exemple, a été un très bon président. Abderrahmane Medkouri, lui, avait pratiqué l’athlétisme, mais il a eu l’intelligence de s’apercevoir que les athlètes n’avaient plus les épaules assez larges pour diriger eux-mêmes ce sport. C’est ainsi qu’on est allé chercher Haj Mohamed Mediouri. Il occupait une certaine position sociale et on avait besoin de ça aussi. Pendant les six ans que j’ai passés avec lui, Haj Mediouri n’a jamais demandé la liste de ceux qui allaient participer à une compétition : il nous faisait confiance et ça ne le regardait pas. Il nous disait toujours qu’il était là pour faire ce que nous ne pouvions pas faire. Il nous trouvait des moyens, il nous ouvrait des portes, etc. Nous, nous étions concentrés sur le travail technique. Haj Mediouri avait compris que la performance est un tout et il ne laissait pas de place au parasitage. Aouzal a fait la même chose. Sa première phrase, à son arrivée, a été : « on ne change rien, ça marche ».

Les solutions que vous préconisez pour le football et l’athlétisme sont-elles applicables aux autres disciplines ?

Les fondamentaux sont les mêmes. Il faut reconnaître l’excellence et faire reposer toutes les stratégies sur les cadres marocains. Je suis certain que si, aujourd’hui, on avait de petits centres pour tous les sports, avec un encadrement compétent qui ait carte blanche, on obtiendrait d’excellents résultats en l’espace de cinq ou six ans dans pas mal de disciplines. Toutes celles où il y a de l’endurance, une certaine technicité, où le centre de gravité doit être bas. Qu’est-ce que je réclamerais comme première mesure à un gouvernement qui veut promouvoir le sport ? Que le Premier ministre – parce qu’entre ministres, ça n’a jamais marché – ordonne que les installations sportives des établissements scolaires soient ouvertes aux enfants des quartiers aux alentours. Dans tous les quartiers du Maroc, il y a un établissement scolaire et tous ont au moins un petit terrain de sport. A 17 heures, on installerait par exemple des tatamis où les enfants puissent faire du judo, du karaté, du taekwondo… Les clubs envoient dans chaque établissement un entraîneur qui encadre 200 ou 400 gosses. Parmi eux, il trouvera un bon athlète, alertera la fédération qui prendra en charge le gamin et là, il aura fait son travail. Quant aux municipalités, elles doivent ouvrir les centaines d’infrastructures sportives à travers le Maroc qui ne sont pas utilisées, parmi lesquelles certaines sont toutes neuves ! Tout cela dénote un manque de maturité politique. Il y une véritable dilapidation de moyens. Les élus sont au service de la société. Or, celle-ci réclame des équipements. Ces investissements ont déjà été consentis : on s’est saigné pour construire des stades qui sont aujourd’hui fermés. En toute logique, l’État se doit de créer des conditions favorables et les techniciens sont là pour faire leur travail. A partir de là, il est impossible qu’on n’ait pas de résultats. Il est aussi impératif de réunir toutes les activités physiques sous la bannière d’une seule institution : une administration de mission chargée de l’activité physique et des sports. Cela existe ailleurs.

Le scandale du dopage

Outre les mauvais résultats, le public a été très choqué par les cas de dopage au sein de notre équipe d’athlétisme. Comment les expliquez-vous ?

C’est un scandale. Faisons un peu d’histoire et de pédagogie. Jusque dans les années 60 ou 70, on ne parlait pas de dopage, mais de « préparation biologique » et des médecins étaient formés pour ça. Le « dopage » est un fruit de la Guerre froide. L’Occident a commencé à en parler au moment où il a été devancé par l’Est, notamment par un petit pays de 16 millions d’habitants, la RDA, qui raflait tout. Sauf que quand le Mur de Berlin est tombé, on s’est aperçu que les molécules utilisées à l’Est étaient fabriquées à l’Ouest et qu’on consommait les mêmes produits de l’autre côté aussi… Aujourd’hui, certains font de la lutte contre le dopage leur cheval de bataille. Mais qu’est-ce que le dopage en fin de compte ? L’utilisation de produits ou de méthodes médicaux à des fins qui ne sont pas les fins initiales. Depuis que la communauté sportive internationale a décidé que c’était interdit, on se doit de se soumettre à cette règle. Maintenant, si vous supposez que tout le monde est dopé, pourquoi n’y a-t-il qu’un seul vainqueur ? C’est que quelque chose d’autre fait gagner. Et ce quelque chose d’autre, c’est le profil du sportif et l’entraînement. Il n’y a pas de corrélation mathématique entre une quelconque molécule et une quelconque performance. Par exemple si vous prenez un anabolisant, votre musculature devient proéminente. Est-ce cette musculature qui vous fait gagner ? On n’en sait rien. Le problème est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Aujourd’hui, certains spécialistes de l’éthique médicale disent : « arrêtez ! On est en train de passer à côté de l’essentiel ». Parce qu’on a interdit, puis pénalisé. Or, autrefois, des médecins s’occupaient de ça. Étant des professionnels de la santé, qui ont fait le Serment d’Hippocrate, il était impossible qu’ils donnent aux sportifs des molécules qui allaient les tuer. Maintenant nos sportifs doivent comprendre qu’on ne badine pas avec la triche et qu’on ne gagne jamais grâce à la triche.

Ce n’est pas ce qu’on dit les coureurs cyclistes Anquetil et Fignon, tous deux morts d’un cancer qu’ils ont attribué aux produits qu’on leur donnait.

Parce qu’ils n’ont su qu’après coup ce qu’on leur donnait. Aucun médecin ne leur aurait donné un produit sachant qu’il est cancérigène. Il ne faut pas sortir les choses de leur contexte. Aujourd’hui, dans l’état actuel de la science, on pense que l’insuline est bonne pour les diabétiques ; peut-être que dans cent ans, on s’apercevra qu’elle est néfaste et on l’arrêtera, comme on a arrêté d’autres choses. Ce que disent les spécialistes de l’éthique, c’est qu’aujourd’hui, les médecins ont peur d’être pénalisés et ne s’occupent plus des produits qu’ingèrent les sportifs. Si bien que c’est une mafia qui fournit les produits. Regardez ce qui s’est passé lors de la Prohibition aux Etats-Unis, elle a donné lieu à l’émergence de gangsters. C’est exactement ce qui se passe dans le sport aujourd’hui. En plus, en agissant de la sorte, on fait l’apologie de ces produits. Quand un gamin lit dans un journal que tel champion a pris tel produit, il va se dire : « c’est grâce à ça qu’il a gagné, je vais en prendre aussi ! ». Aujourd’hui, on se vante d’avoir contrôlé plus de 6.000 sportifs aux JO. Mais que représentent-ils par rapport aux millions de pratiquants dans le monde ? Il est de notoriété publique que dans les lycées et les collèges américains, les gamins se dopent. Les contrôles sont tellement chers et difficiles à réaliser que vous ne pouvez pas contrôler tout le monde. S’il y a un problème de santé publique, ce n’est pas par l’interdiction qu’on va le résoudre.

Quelle est la solution ?

Certains spécialistes de l’éthique, de plus en plus nombreux dans le monde, demandent qu’on laisse les médecins faire leur travail. Si quelqu’un veut prendre un produit, qu’il soit libre de s’adresser à un médecin et que celui-ci soit libre de décider de le lui prescrire ou pas, dans les doses qui conviennent, et l’informe sur les risques du produit. Et il faut accompagner tout cela d’une déclaration.

Une partie de ces sportifs courra quand même le risque de prendre des produits nocifs parce qu’ils veulent avant tout gagner.

C’est pour cela que le médecin doit publier un communiqué disant : « j’ai prescrit tel produit à tel athlète dans telle quantité pour telle raison ». Au moins, ce serait transparent.

Que tout le monde ne parte pas à égalité ne vous gênerait pas ?

Tout le monde serait à égalité, puisque tout le monde pourrait prendre des produits. Mais avec prescription médicale, à des doses étudiées. Par exemple certains produits anabolisants, paraît-il, accélèrent la guérison des déchirures musculaires. Donc, on doit faire confiance aux médecins en autorisant certains médicaments pour certains motifs et dans certaines doses. Pourquoi un athlète se dope-t-il ? Statistiquement, il se dope en fin de carrière, parce qu’il n’a plus confiance en lui ou parce qu’il n’a plus confiance dans le système. A côté, bien évidemment, d’une faiblesse psychologique. Après, on peut se demander dans quelle mesure l’athlète ne se sent pas meilleur du fait d’avoir ingéré une substance quelconque.

Est-ce que d’un point de vue éthique, un médecin pourrait se contenter de prescrire des placebos ?

Non, car ce qui est interdit, ce sont les produits mais aussi les méthodes. C’est ce qui fait que les sportifs ne s’adressent plus aux médecins mais aux circuits parallèles. Les fédérations n’ont alors plus de prise sur eux.

Des accusations très graves ont été portées par Saïd Aouita et l’Association marocaine de sensibilisation contre le dopage dans le sport, affirmant que la Fédération savait que certains athlètes se dopaient mais qu’elle a choisi de fermer les yeux.

Sincèrement, je ne peux pas admettre qu’une fédération au courant de cas de dopage ne réagisse pas ! D’abord, les fédérations connaissent les conséquences : tous ceux qui se dopent se font prendre au premier contrôle. Il faut être un imbécile pour penser autrement ! Les athlètes qui font partie de l’élite mondiale se font systématiquement contrôler, au moins douze fois par an. Maintenant, il peut arriver que la personne qui a vendu le produit prétende que celui-ci est en avance sur les machines, qu’il n’apparaîtra pas lors des contrôles, dupant ainsi les athlètes. Je présume que les fédérations sont composées de gens sensés qui respectent les règles parce qu’ils en sont signataires. Je suis persuadé que la Fédération Royale Marocaine d’Athlétisme, de même que l’encadrement médical, n’était pas au courant de ces pratiques. D’autre part, je connais les entraîneurs de ces athlètes. Celui de Laalou a travaillé avec moi, je connais la valeur qu’il accorde à son métier et sa droiture : ce gars-là n’était pas au courant, j’en mettrais ma main au feu ! Maintenant, une question peut se poser : la fédération a-t-elle contribué à ce que le système parallèle dont je parlais soit en contact avec les sportifs ? Quand j’entends que les athlètes ne passent plus la nuit à l’Institut et qu’ils sont libres de rentrer chez eux, je me demande si cet acte-là ne favorise pas les contacts avec un milieu extérieur qui peut ne pas être favorable. Quand on interdit aux entraîneurs de vivre avec les athlètes à l’Institut, on laisse ceux-ci livrés à eux-mêmes. C’est dans ces domaines que la fédération peut avoir fauté, donc ses méthodes sont à revoir très vite !

 Comment on fabrique des champions

Combien de temps avez-vous travaillé à la Fédération ?

La première fois qu’on a fait appel à moi, c’était en 1971. Par la suite, je suis parti pour faire des études, puis je suis revenu de 1977 à 1981, et à nouveau en 1983. J’avais fait partie des premiers élèves orientés vers les sciences économiques au Maroc, ce qui était une fierté pour moi. Mais, parallèlement, j’ai découvert l’athlétisme. J’avais commencé à pratiquer ce sport tout gamin, dans mon club. Comme on m’y confiait certaines responsabilités, j’ai pris le goût d’entraîner. J’ai découvert que l’entraînement était une science, que les résultats n’étaient pas dus au hasard. J’ai donc passé une licence en éducation physique, puis un master en Roumanie, dans le plus ancien institut de sport du monde. A l’époque, les pays de l’Est étaient les meilleurs du monde pour la préparation des athlètes. Dans cette école, il y avait des professeurs très réputés, notamment Leon Teoderescu, un très grand spécialiste dans les sciences de l’entraînement. J’ai par la suite été à l’Université de Montréal pousser davantage mes études en sciences de l’activité physique.

En quoi consistent ces sciences ?
Pour obtenir de la performance sportive, il faut être au fait de ce qui se passe dans le corps humain au plan physiologique. A côté de cela, vous devez savoir comment marche la mécanique du corps humain : comment une articulation répond à tel exercice, etc. On appelle ça de la biomécanique. Ensuite, vous avez en face de vous une personne qui a un cerveau et qui réfléchit : vous devez comprendre son mode de fonctionnement. C’est de la psychologie. Quand vous mettez tous ces éléments ensemble, vous savez comment obtenir de la performance. A côté de cela, vous avez les facteurs liés à l’environnement : la politique, l’économie, le climat, l’infrastructure… qui vont influer sur la performance sportive et qu’il faut manipuler de manière à rendre celle-ci optimale.

Vous avez évoqué au début de l’interview l’aspect culturel de la performance sportive. De quoi s’agit-il au juste ?
Vous devez avoir une stratégie sur la manière de faire évoluer la carrière d’un athlète en respectant les paliers physiologiques, de croissance, psychologiques… C’est un tout très complexe. C’est pour cela qu’un cadre national comprendra mieux un athlète national qu’un cadre venu de l’étranger. A l’époque, quand le papa ou la maman d’un athlète tombait malade, on envoyait un médecin de la fédération dans son bled. Parce que chez nous, quand quelqu’un est malade, c’est la famille qui s’en occupe. Et pour un athlète, sa famille, ce sont les gens de l’institut. Quand quelqu’un de la famille décédait, c’est nous qui nous nous en occupions. Ce sont des aspects fondamentaux qui raffermissent les liens et qui donnent de la valeur au gamin. Quand l’un d’eux gagnait, on allait faire la fête chez lui, dans son patelin, pas à l’institut.

Quels sont les autres fondamentaux ?
Vous ne pouvez pas décider de devenir un sportif de haut niveau : il faut avoir un profil pour cela. Par exemple, pour être recordman du 100 mètres nage libre aujourd’hui, il faut mesurer près de 2 mètres, avoir un pied de 54 centimètres, une envergure de près de 1m90,  une certaine capacité cardiovasculaire… Quand vous jouez au football, vous devez être fait d’une certaine façon, votre corps doit fonctionner d’une certaine façon et vous devez avoir une certaine perception de l’espace et du temps. Tous ces ingrédients mis côte à côte vont vous donner le bon profil. Après, pour décrocher une médaille olympique, il faut un minimum de sept années de travail. Si vous attendez, comme cela se faisait dans le temps, que le jeune vienne vers vous, vous pouvez attendre longtemps… Dans le monde, il y a deux façons de faire. Il y a l’école américaine qui favorise l’éclosion de talents dès le plus jeune âge. Mais aucun autre pays au monde n’accepte qu’un étudiant n’ait que deux matières par an et qu’il ait une bourse parce qu’il est excellent en sport. Le modèle européen, lui, est celui des clubs, appuyés par les municipalités et des sponsors, avec des entraîneurs qui vont dénicher des athlètes, les entraîner et les amener en équipe nationale par la suite. Nous, nous n’avions ni l’un ni l’autre. Donc, nous avons imaginé notre propre formule : aller chercher les talents là où ils sont ; sillonner le Maroc, tester tous les jeunes que nous pouvions avoir sous la main, prendre les meilleurs et les mettre dans un centre. C’est là qu’est née l’idée de l’école, avec Saïd Aouita qui a mis à disposition une maison à Casablanca qui accueillait cinq athlètes au début. Le ministère des Sports s’est intéressé à la chose et a proposé de nous aider. Nous avons alors pu prendre 20 athlètes. A partir de là, on l’a appelée École Nationale d’Athlétisme. L’année d’après, nous nous sommes transportés à Rabat, dans un bâtiment mis à notre disposition par le ministère, qui est devenu l’Institut National d’Athlétisme. On l’a réaménagé par nos propres moyens. A l’époque, les athlètes n’avaient même pas de douches et devaient parcourir un kilomètre pour aller se doucher au grand stade ! On n’avait pas les moyens de leur donner le soir autre chose que l’harira. Tous les soirs que Dieu faisaient, ils mangeaient l’harira ! On a expliqué à ces jeunes que nous étions au début d’un processus, qu’ils allaient devenir de grands athlètes et qu’ils ne devaient pas regarder ce que le Maroc pouvait leur donner mais ce que eux pouvaient amener au Maroc. Un très bon nombre a effectivement fait carrière. Depuis, les conditions sont devenues idéales.

Comment vous organisiez-vous pour la prospection à l’époque où vous étiez DTN ?
Au début de ma carrière, je le faisais moi-même. J’étais présent partout où il y avait une compétition scolaire ou autre. Par la suite, j’ai formé des gens à l’Institut Moulay-Rachid qui sont devenus des spécialistes dans ce domaine. Quand ils mettaient la main sur un talent, on lui faisait passer des tests qui allaient crescendo. Nous touchions entre 200.000 et 250.000 jeunes par an. A la fin de l’année, nous en retenions une trentaine.

Les enfants qui n’étaient pas retenus devaient être terriblement déçus…
Non, parce que nous ne procédions pas à la manière d’un casting comme dans ces émissions télévisées où ceux qui ne sont pas retenus passent au bêtisier. Le faire de cette manière est criminel parce que ça met les gamins dans des situations psychologiques difficiles. Nous organisions des manifestations sportives de masse où les enfants venaient pour s’amuser. L’œil du détecteur était là pour repérer les profils qui convenaient. Ensuite, il allait parler au gamin et à ses parents. Il n’y avait pas de caméra, c’était un travail technique dont personne ne parlait. Certains parents refusaient parce qu’ils préféraient que leur enfant suivent des études. De mon côté, j’éliminais presque tous ceux qui avaient un bon bulletin scolaire.

Une fois que les jeunes étaient recrutés, quelle était l’étape suivante ?
Une fois qu’on est assuré que le gamin a le talent, le profil et la volonté, on peut commencer à travailler. Il faut alors que le jeune ait envie de le faire, qu’il accepte de souffrir. Beaucoup renoncent. Je me souviens d’un gamin fabuleux qui, au moment du bac, a décidé de laisser tomber.Aujourd’hui, il est professeur d’université au Canada. Ce sont des choix à respecter. A l’inverse, nous nous sommes souvent trouvés face à des parents qui nous affirmaient que leur enfant était extraordinaire.
Quand on le testait, on s’apercevait qu’il n’avait pas le profil. Je connais un papa qui, pendant quatre ou cinq ans, a payé un entraîneur, un kinésithérapeute et un médecin pour faire de son fils un champion. Il y a plein de parents comme ça, au Maroc et dans le monde ! Mais il n’y a pas de miracle : un gamin doit avoir le profil requis, puis suivre un processus de formation.

Pourquoi avoir choisi de favoriser les épreuves de moyenne distance ?
Ça a été un choix stratégique. Après mon retour de Roumanie, j’ai été élu pour la première fois à la fédération en 1979. J’ai alors présenté un projet expliquant qu’il n’y a pas un pays au monde qui peut se targuer d’avoir un athlétisme complet. Donc, il vaut mieux faire un effort sur les épreuves dans lesquelles nous sommes le plus doués. J’ai estimé que, du point de vue scientifique, c’étaient les épreuves de moyenne distance et les haies. D’abord parce que nous sommes endurant et très doués techniquement. C’est pour cela que nous avons les meilleurs artisans. Quand vous demandez à un Marocain de reproduire un geste, il y a de fortes chances qu’il le reproduise bien. Nous sommes donc bons dans toutes les épreuves où il y a un peu de technique. Dieu merci, la fédération m’a suivi. Progressivement, nous sommes parvenus à créer une façon à nous de travailler.

Cette méthode s’est traduite en titres rapidement ?

Sur le plan du palmarès, c’est une époque faste puisque nous avons décroché la quasi-totalité de nos médailles olympiques dans cette période, ainsi qu’une centaine de médailles et plein de records au niveau mondial. En termes de participation, nous étions dans les trois premières nations du monde. C’est simple : chaque jour que Dieu faisait, un Marocain gagnait quelque chose en athlétisme quelque part. Je me souviens d’une époque où nous avions douze ou treize athlètes qualifiés au 1.500 mètres au niveau des temps, autant sur le 800 mètres ou le 5000 mètres ! On est passé de 4.000 ou 5.000 licences à pratiquement 100.000 licences et plus de 560 clubs actifs. Ceci sans tenir compte des centaines de milliers de Marocains qui pratiquaient sans être licenciés… On organisait des courses à travers le royaume qui réunissaient des centaines de milliers de participants. Tout le monde courait ! C’est ainsi que le Maroc est arrivé 5ème aux championnats du monde de 1999. Y a-t-il un autre secteur où le Maroc a été 5ème mondial ? Le monde entier a commencé à s’intéresser à ce que nous faisions : si vous reprenez ce qui se disait du Maroc il y a 15 ou 20 ans, c’est exactement ce qu’on dit de la Jamaïque aujourd’hui. Et le Usain Bolt d’il y a 15 ans, c’était Hicham El Guerrouj. Nous recevions 60 à 70 équipes de télévision par an à l’Institut. Aujourd’hui, beaucoup de pays s’inspirent de ce que nous avons fait. Même la fédération internationale a copié notre système. Elle a installé des centres dans des régions déshéritées partout dans le monde pour permettre aux pays qui n’ont pas de moyens de faire émerger des talents. Ça a été l’un des points stratégiques sur lesquels nous avons travaillé quand j’ai été nommé directeur technique de la Confédération Africaine d’Athlétisme. Cette méthode a été inventée au Maroc et je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas capitalisé dessus pour tous les autres sports.

Votre grande contribution au sport mondial est la technique de course que vous avez mise au point sur le 400 mètres haies. Racontez-nous.
Au début des années 1970, on a commencé à parler du 400 mètres haies pour les femmes. Je me suis dit : « c’est une nouvelle discipline. Si le Maroc s’y met dès maintenant, nous monterons dans le train en même temps que tout le monde ». Nous avions un championnat maghrébin à Agadir. J’ai réuni tout le monde en expliquant que nous devions prendre les devants. J’ai proposé qu’on commence par introduire un 200 mètres haies dans le championnat maghrébin. Les Maghrébins s’y sont opposés. Fatima et moi avons alors décidé qu’elle se mettrait sur le 400 mètres haies. Là arrivent les premiers championnats d’Afrique, en 1979. Et Fatima nous a ramené notre premier titre africain ! Depuis, nous n’avons plus lâché cette discipline. On a toujours conservé le titre africain et le record d’Afrique. Au niveau mondial, on a eu Fatima El Faquir, Nawal Moutawakil, puis Nehza Bidouane.

 

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