Nour-Eddine Lakhmari : Tous en mode BURN OUT

by Abdelhak Najib

Nour-Eddine Lakhmari vient de mettre en boîte son nouveau film, intitulé Burn Out. 9 semaines de tournage à Casablanca, cadre idéal pour le cinéma noir qu’offre le regard de Nour-Eddine Lakhmari, à la fois juste, percutant et réaliste sur un univers en déshérence. Il revient ici sur son cinéma, ses espoirs, le Maroc tel qu’il est, la politique, les femmes, la démocratie, ses références, ses débuts et sur l’avenir de ce pays. Regard sans concessions d’un réalisateur engagé, qui s’implique, monte au créneau quand il le faut, n’hésite pas à dire ce qu’il pense et continue son bonhomme de chemin avec un cinéma, à part, qui porte une approche personnelle, une certaine idée du septième art comme peu savent le faire au Maroc.
Nour-Eddine Lakhmari sait poser sa caméra, prend des partis-pris, assume ses choix et livre un cinéma à la mesure de sa pensée humaine, de son regard sur l’humain. Cinéma résolument moderne, avec des références classiques de bonne facture, une technique au poil, sans la moindre hésitation, on peut affirmer que Nour-Eddine s’est imposé comme le porte-drapeau d’une génération, qui a vu la naissance de tant d’autres, qui se sont très vite essoufflés en cours de route. D’un film à l’autre, Nour-Eddine Lakhmari dont on connaît la force construit un univers très spécial et très personnel. Depuis ses débuts, nous avons touché la force des courts, même des très courts métrages, toutes ces Brèves Notes, qui donnaient déjà une idée sur ce que pouvait être le cinéma d’un gosse de Safi, né sans ski aux pieds, mais qui a choisi le retour, dans un regard, pour donner une couleur noire à Casablanca, lui attribuer un zéro pointé avant de nous montrer que tout le monde dans cette ville est en mode Burn Out au stade final. C’est cela le cinéma tel qu’il est donné à voir par l’un des réalisateurs marocains, qui ont un concept de cinéma, qui sont en passe de construire une œuvre. Un cinéma brutal, un cinéma sans concessions, un cinéma politiquement incorrect, un cinéma qui ne cherche pas le consensus.

Vous venez de boucler le tournage de votre dernier film Burn Out, racontez-nous ces 9 semaines de tournage?
9 semaines de bonheur et de douleur, la pluie, le froid, les voitures, le bruit et la violence de Casablanca. Mais je ne regrette pas une seconde de ce tournage. Plus c’est dur, plus c’est ça qui va nous pousser à aller vers notre meilleur. Chaque tournage est spécial et à chaque fois, on croit avoir fait le tour de la question. Il n’en est rien. À chaque fois, les mêmes angoisses, les mêmes peurs, les mêmes joies…
Gérer les grands boulevards la nuit était une mission impossible, surtout que les gens, dès qu’ils voient la caméra et la lumière, ils s’excitent et accélèrent pour frimer et montrer qu’ils existent. Je dois dire que durant ce tournage, j’ai rencontré plus de violences dans les zones des gens «aisés» que dans les bidonvilles ou les Karyanates.

Burn Out, qu’en est-il justement? Le scénario, les sujets, les personnages, votre vision encore une fois de ce Maroc en mutation ?
C’est un film sur notre Maroc complexe, les riches , les pauvres, les politiciens, les étudiants, les cireurs…. Tous ces personnages touchants qui naviguent dans cette ville. Ils sont tous en Burn Out, tous à la recherche de leur rédemption, mais ce qui me fascine c’est que les gens subissent leurs journées avec un masque pour survivre. C’est encore un film sur la condition humaine, sur ce qui fait que nous pouvons être gentils, méchants et même violents vis-à-vis des faibles ou de nos proches. Le Maroc est un pays extraordinaire, car il peut te séduire pour l’éternité comme il peut te faire peur et ce, juste en traversant Casablanca. L’histoire de Burn Out est simple. Un riche qui cherche l’amour et la rédemption, rencontre un cireur et leur relation fait que toutes leurs visions du monde changent, y compris les préjugés qu’ils avaient l’un sur l’autre. C’est une histoire ancrée dans le tissu urbain d’un Maroc en mutation, un Maroc multiple, un Maroc qui nous échappe par de nombreux pans.
Vous tournez à Casablanca principalement tous vos films, quel rapport avec cette ville?
Casablanca c’est le Maroc. Avec toutes ses contradictions, vous avez de tout dans cette mégapole. C’est notre New York à nous. C’est une ville terrible, forte, puissante, qui séduit, fait peur, donne l’angoisse, broie des vies et offre des possibilités à d’autres. C’est une ville-tentaculaire, une ville qui porte en elle tant de contradictions qu’il faut l’étudier, en scruter les moindres recoins, se spécialiser dans l’analyse de la particularité de cette cité qui ne ressemble à aucune autre. Vous avez des zones où les gens ne se mélangent pas. De nouveaux riches qui sont plus «beldis» tu meurs. De riches intellos qui sont tellement snobs, qu’ils ne connaissent le Maroc qu’à travers leurs «bonnes» ou leurs femmes de ménage ou encore par leurs chauffeurs. Vous avez la classe moyenne qui vit dans des illusions et aime copier l’occidentale, alors qu’elle est fondamentalement conservatrice. Et vous avez les pauvres qui vivent dans un malaise quotidien, hyper fragile et une cible facile pour les commerçants de la religion. Avec tout ceci, on a de belles histoires à raconter, trop de conflits, de dilemmes et de drames socio-économiques.
Donc oui Casablanca c’est un film de Spike Lee, de Jim Jarmush et de Federico Fellini. L’espace s’y prête grandement.

Cinéma,Nour-eddine Lakhmari,réalisateur

Casa Negra, Zero, Burn Out, c’est un univers noir, sans concession que vous mettez en images? Pourquoi une telle vision?
Chacun a sa vision sur le monde, beaucoup de mes détracteurs disent que je hais Casablanca car je la filme la nuit avec une vision noire. Mais pas du tout, j’aime cette ville et je la sublime avec ma caméra et justement la sublimer est de la filmer telle qu’elle est.
J’aime le cinéma noir, non pas parce que c’est négatif ou pessimiste, mais c’est un genre de cinéma qui nous pousse à être plus esthétique et en même temps à aller chercher vers le coté sombre de l’humain.
J’aurais aimé que nos sociologues, sexologues, anthropologues et nos criminologues puissent avoir plus de temps sur nos radios et nos TV. Mon travail de cinéaste et mes films ne seraient alors qu’une petite idée sur ce qui se passe dans notre société.

« Aujourd’hui,un pays qui ne fabrique pas ses images est un pays sans identité visuelle. »

 La musique est capitale dans votre travail, parlez-nous de cette place qu’elle occupe dans vos films?
Je suis né dans une ville (Safi) où la musique faisait partie de notre quotidien, la musique peut apporter un coté émotionnel au film… La musique peut renforcer les scènes et des fois renforcer le Drama.
Il y a ceux qui disent que la musique tue les images, je ne suis pas du tout d’accord. Quand on regarde les films de Kieslowski ou Terrence Malik, on se rend compte à quel point ces maîtres jouaient sur la musique. Kubrick ne se gênait pas non plus.
Je pense que la musique peut être un grand plus pour un film quand elle est bien utilisée.

Vous êtes un réalisateur qui a un regard particulier sur le Maroc et sur le monde, parlez-nous de vos engagements, de vos soucis et de vos préoccupations ?
Je pense qu’il est temps qu’on se réveille, qu’on prenne les choses en mains, on ne peut plus se permettre de garder des idées moyenâgeuses, des lois archaïques, des mentalités hyper conservatrices. Le monde va plus vite.
Regardez la Corée du Sud, ils n’avaient rien. C’était un pays pauvre. C’est devenu un pays hyper producteur. Il faut qu’on arrête de se mentir, la nation arabo-musulmane n’est qu’un marché.
On ne sert à rien, à part consommer. On ne produit rien, on n’invente rien, mais on se plaint et on reproche notre échec à l’Occident.
On est devenu la blague de l’humanité et on ne veut rien faire pour changer cette image. On adore vivre dans le passé. Il faut à mon avis investir dans la science, les recherches, participer pour le développement de l’humanité et surtout investir dans la culture et l’art. Car, au final il n’ y a que ce qu’on produit qui reste.
Malheureusement dans nos pays de consommation bête et aveugle, les egos sont tellement forts que leur développement en paye le prix fort.

Cinéma,Nour-eddine Lakhmari,réalisateur

Cinéma et politique sont indissociables, quel regard portez-vous sur le Maroc d’aujourd’hui?
Woody Allen disait que tout cinéaste vous ment s’il dit qu’il ne fait pas de la politique. Dès qu’on pose une caméra, on choisit un angle, un point de vue, une vision au lieu d’une autre. Donc forcément, une vision politique sur les choses.
La politique aujourd’hui au Maroc est intéressante. Je vois nos politiciens et je me dis «Dieu comment en est-on arrivé là ?» Pourtant, ce pays avance malgré eux. Quand vous avez des politiciens qui n’aiment par l’art et la culture, qui vous disent qu’on n’a pas besoin de philosophes ni de poètes, qui ne regardent pas le cinéma, qui n’aiment pas les arts plastiques, et qui sont hyper satisfaits avec la médiocrité qu’on voit sur nos chaînes de télévision, c’est qu’on est dans un monde surréaliste.
Le Maroc a beaucoup souffert avec ce gouvernement, on a régressé dans plusieurs domaines, il y a des incompétences dans beaucoup de postes publics ou privés, qui font que les choses n’avancent pas.
Heureusement qu’on a un Roi amoureux de l’art et de la culture, sinon on serait comme les pays où l’imaginaire visuel n’existe pas.

La femme est présente avec force dans vos films, quel regard sur la femme, quelle place dans la société, quelle place dans la vie de l’homme Lakhmari?
On n’ira nul part sans la liberté de la femme, autrement on se ment. La vraie démocratie commence quand la femme jouit de toutes ses libertés et de tous ses droits.
Je pense que le cinéma peut jouer un rôle important pour changer les mentalités de nos concitoyens sur leur perception de la femme en créant des héroïnes féminines avec lesquelles on peut s’identifier.
Pour la place de la femme dans ma vie, je suis un produit de femmes libres, depuis ma mère qui, avant sa mort me disait toujours qu’un homme se résume à sa manière de traiter sa femme et dans sa perception de la femme.
Je dois tout ce que j’ai fait et tout ce que je fais à toutes ces femmes qui ont traversé ma vie, mon ex-femme était la personne qui m’a poussé à aller vers mon rêve de faire du cinéma. Elle m’a soutenu depuis mon premier court métrage, jusqu’à aujourd’hui.
Je pense que notre société a besoin de revoir sa vision sur la femme, laisser cette mentalité misogyne pour que nos femmes puissent être épanouies et produire de belles choses qui peuvent aider notre pays pour avancer.

Quel rôle pour le cinéma dans l’évolution d’une société?
Le cinéma a un rôle fondamental dans l’évolution de la société. Aujourd’hui, les gens lisent moins mais regardent beaucoup les images. Les USA dominent le monde grâce à leurs films et aux images qu’ils produisent. Ils arrivent à toucher le monde entier. Plus encore, ils vendent leurs cultures et leurs valeurs, ils arrivent à pénétrer dans chaque foyer par le cinéma, la télévision, toutes les formes modernes de la communication.
Aujourd’hui, un pays qui ne fabrique pas ses images est un pays sans identité visuelle. Il y a des pays dont on ne connaît rien, ni sur la vie des gens, ni sur leur façon de vivre, ni leur vision du monde et du coup, ils laissent d’autres pays créer des images à leurs places, sur eux de surcroit. Ce qui est le cas aujourd’hui pour beaucoup de pays arabes qui ne fabriquent pas leurs images et qui sont victimes des images stéréotypées de l’Occident.

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